Extrait : Aujourd’hui cet urbaniste a 90 ans, et il est toujours un bel homme. Et toujours un critique de la société… et de son milieu. Un défenseur de l’esprit démocratique de la ville. Un prophète de la préoccupation écologique.
– Malcolm Reid
Une récente exposition à l’Université Laval concernant le campus à ses débuts (vers 1955) montre un jeune homme, beau comme un acteur de cinéma, en train de dire (je cite de mémoire) : « Ce n’est pas du tout réaliste de faire un campus avec des allées droites modelées sur les jardins de Versailles, comme nous sommes en train de faire là » Déjà, quand il était jeune et que l’université quittait le Quartier Latin de Québec pour son nouveau campus sur les collines de Sainte-Foy, il critiquait.
Selon lui, il fallait concevoir un campus universitaire qui était beau, élégant, fonctionnel, respectueux de la tradition. Ce campus ne rencontrait pas toujours ces exigences, trouvait-il. Il aurait préféré que l’université reste dans le Vieux Québec.
C’était Jean Cimon, fraîchement diplômé de l’Université Laval en sociologie. Il enseignait au pavillon de foresterie, le premier édifice à être construit sur le nouveau campus. Né en 1923, il avait trente ans à peu près.
Aujourd’hui cet urbaniste a 90 ans, et il est toujours un bel homme. Et toujours un critique de la société… et de son milieu. Un défenseur de l’esprit démocratique de la ville. Un prophète de la préoccupation écologique.
« Jean Cimon n’est jamais satisfait de ce que font nos institutions publiques. Il milite pour avoir mieux. Il cherche les mouvements populaires qui militent pour avoir mieux, » dit Marc Boutin, qui est lié à Cimon par une grande amitié.
Mais leur amitié a vraiment pris son élan il y a quinze ans. Marc atteignait sa vitesse de croisière dans les mouvements qui défendent les citoyens de la base, dans des faubourgs populaires de la ville de Québec, Saint-Roch et Saint-Jean-Baptiste. Cimon, lui, avait pris sa retraite comme planificateur de la Capitale nationale à Ottawa (1957-60), de la Communauté urbaine de Québec (1960-1972), et plus tard comme urbaniste-conseil avec sa propre firme. « Je suis fier de l’ensemble de nos recommandations pour le Vieux-Québec, même si seulement quelques-unes ont été réalisées. Nous avons essayé de garder ce quartier vivant. Et je suis spécialement fier de mon travail plus tard pour la ville de Rimouski. Je pense à un parc, par exemple, que je les ai persuadés de créer au milieu de leur quartier ouvrier. »
Il n’a jamais été tout à fait content de ce qu’il a pu accomplir avec son travail de fonctionnaire. Les entrepreneurs et les fournisseurs de fonds électoraux en menaient large. Aucune ville ne planifiait vraiment afin de donner la priorité aux besoins des gagne-petit.
La justice sociale avait encore besoin de lui, a décidé le technocrate à la retraite. Il continuerait à militer.
L’ami Marc serait un bon partenaire de lutte. Ensemble, dernièrement, les deux hommes ont travaillé sur un projet d’habitation à loyer modique pour vieilles personnes, la Maison Bonamour. « C’est sur la glace pour le moment, » dit-il. Mais si cette institution se réalise, Jean Cimon songe à s’y installer : les plans mettent les vieux près d’un groupe enfants, une garderie faisant partie du même édifice. Cette notion de mixité lui est très chère; elle vient en grande partie de la Suède. Jean Cimon a séjourné en Suède dans sa jeunesse. Il y a fait des reportages pour Radio-Canada, ajoutant le journalisme à son arc. Et la Suède l’a marqué. S’il n’était pas social-démocrate en allant à Stockholm, il l’était sûrement en revenant au Québec !
Cimon est un fils de la Grande-Allée, son père, Hector Cimon, ayant travaillé toute sa vie dans la direction de la Price Brothers, papetiers, dans leur petit gratte-ciel à toit de cuivre.
Dans sa vie professionnelle, l’urbaniste Cimon a vécu en mandarin bien payé. Il s’est marié; lui et sa femme Brigitte Allard ont eu quatre enfants. Le plus connu est Bernard Cimon, le troubadour des rues, qui chante Ferré, Gainsbourg, Saint-Denys-Garneau, et ses propres compositions, en concert et en plein-air.
Sa famille étant élevée, et s’étant séparé d’avec son épouse, Jean Cimon a vécu une deuxième vie de couple, très intense, avec Madeleine Ferron.
Auteur de Coeur de sucre, elle avait vécu en Beauce avec son mari, l’avocat Robert Cliche. Devenue veuve, Madeleine s’est tournée de plus en plus vers son travail de fiction… une fiction située, maintenant, davantage dans l’univers des villes. Et là, un amour avec Jean Cimon éclôt !
Un jour, Madeleine a été frappée par la maladie. Cimon a accompagné Madeleine dans sa bataille contre l’Alzheimer. Elle est partie en 2010, Jean est veuf. Mais il a toute sa mémoire, toute sa tête, toute sa curiosité intellectuelle. Et son goût de la promenade à pied.
« Il a toujours un projet dans lequel il veut m’embarquer, dit Marc, il n’est pas arrêtable. »
Il est devenu écrivain, il a plusieurs livres à son actif. (voir l’encadré plus bas) Et il est un confrère pour les autres écrivains. « Malcolm, dans les années 1990 tu as publié un petit magazine très intéressant sur la culture et la politique. Tu l’appelais « le journal du village global ». Ces textes sont bons, ils m’ont inspiré, du temps que je lisais ta revue, à la fin du 20e siècle. Tu devrais les rééditer en forme de livre, les éditons Septentrion pourraient être intéressées. Je t’aiderais. » Il m’a dit ça l’autre jour. J’y songe. Un conseil de Jean Cimon ne peut pas être un mauvais conseil.
Les livres de Jean Cimon
En 2010, Jean Cimon a publié ce qui est peut-être son plus beau livre, Odyssée en Suède (aux éditions du Septentrion, Québec). Il y raconte son séjour de jeunesse à Stockolm, et son amitié avec l’urbaniste torontoise Jane Jacobs. Ses autres livres : – Suède, pays de l’urbanisme – Le dossier Outaouais, réflexion d’un urbanisme – Zonage agricole et développement urbain – Promoteurs et patrimoine urbain – Ulric J. Tessier, la bourgeoisie francophone de Québec au XIXe siècle – Mémoires d’un piéton |