Par Marc Boutin
Je crois qu’on doit se réjouir de la décision du « candidat à la mairie », M. Labeaume, de mettre de côté pour un temps le projet de tramway. Bien sûr, cette mise au rancart a été décrétée pour les mauvaises raisons : plutôt que d’investir dans un tramway, M Labeaume veut augmenter le nombre de voies carrossables sur les autoroutes. Mais au delà des motivations du maire, la pause tramway qu’il propose, en nous permettant de réfléchir sur la pertinence du tracé actuel, sera salutaire, espérons-le.
Il faut rappeler ici deux faits. D’abord que Droit de Parole a été, et reste, un ardent défenseur d’un projet de tramway pour l’agglomération de Québec. Mais à condition, évidemment, que le tracé nous paraisse acceptable. Ensuite, n’oublions pas qu’aux consultations publiques sur le projet de tramway, le maire avait interdit qu’on discute du tracé. Eh oui ! sic et resic, pas le droit d’en parler. On pouvait y penser… à condition de garder le silence sans quoi la police municipale allait intervenir. Une consultation publique sérieuse sur le tracé reste donc à l’agenda.
On peut quand même comprendre notre bon maire : son intuition lui dictait que le tracé qu’il proposait était hautement contestable et même, j’ose ajouter à sa place, complètement farfelu. Résumons : d’est en ouest, la ligne principale va du secteur d’Estimauville jusqu’à Saint-Romuald en passant par les boulevards de la Canardière, des Capucins et Charest, puis par les autoroutes 440 et Robert- Bourassa jusqu’au boulevard Laurier, pour ensuite traverser le pont de Québec en empruntant le boulevard de la Rive- Sud vers Saint-Romuald. Certains idéalistes rêvent même d’un point d’arrivée à la haute-ville de Lévis, à près de trente km du point de départ.
Voici quelques considérations qui vont dans le sens de restreindre la longueur des lignes de tramway et d’éviter de les faire passer le long des autoroutes. 1- Il y a une chose qui coûte plus cher qu’une ligne de tramway, c’est le matériel roulant qui l’emprunte. Plus on allonge les lignes, plus on les fait louvoyer, passer sur des autoroutes « pas rapport », plus on devra investir dans le matériel roulant si on ne veut pas affaiblir les fréquences. Sur une ligne de 25 km, si on veut maintenir une fréquence de 5 minutes aux heures de pointe, ça peut prendre jusqu’à 40 trains qui roulent à la fois, ce qui veut dire au moins 40 chauffeurs à payer en même temps. Des dépenses astronomiques. Mieux vaut se rapprocher du centre-ville, raccourcir les lignes pour rester efficace à moindre prix.
2- Dans le document de consultation du plan de mobilité durable de la Ville de Québec, on peut lire que celle-ci a comme objectif de mettre fin, ou du moins de contrôler l’étalement urbain. Or, plus on allonge un ligne de tramway vers la banlieue lointaine, plus on assiste à un renversement de son rôle par rapport au développement de l’agglomération. D’un outil de densification à moins de 7 km du centre-ville, le tramway se transforme, au delà de ce seuil, en outil d’étalement, voire de dispersion urbaine. Par exemple, un des effets pervers que pourrait avoir le tracé principal proposé par l’administration Labeaume pour le tramway, serait de repousser plus loin (vers la Rive-Sud) le centre commercial et administratif aujourd’hui concentré à Sainte-Foy.
3- Faire passer la ligne principale du tramway ailleurs que sur le boulevard René- Levesque fera en sorte que le métrobus actuel formera encore l’épine dorsale du réseau de transport en commun de Québec après la mise en place du tramway. La ville devra alors assumer deux réseaux structurants, presqu’aussi couteux l’un que l’autre. Si on veut que le coût d’ensemble de l’opération reste acceptable, le réseau du tramway devra graduellement remplacer l’axe principal actuel du transport en commun aujourd’hui assumé par les lignes 800-801 du Métrobus.
4- Faire passer une ligne de tramway dans des quartiers de banlieue où l’auto règne déjà en maître affaiblira le rôle structurant du réseau et fera de ce réseau une simple doublure du réseau autoroutier et de l’automobile. Placer un tramway sur un axe autoroutier qui traverse un espace industriel banlieusard, comme celui qui longe l’autoroute 440 (Charest), c’est aussi fou que de faire passer une autoroute à six voies sur la rue Sainte-Ursule, en plein coeur de la Cité. Croire à un développement résidentiel de qualité dans le secteur Charest/ Robert-Bourassa relève de la pensée magique.
5- C’est confirmé par l’usage dans la plupart des villes nouvellement dotées d’une réseau de transport léger sur rail, tant en Europe qu’en Amérique : pour être efficace, l’épine dorsale du réseau doit se situer au centre des axes urbains déjà densément peuplés, là où vivent déjà la majorité des usagers habituels du réseau. À Québec, ça veut dire le boulevard René-Levesque dans l’axe est-ouest et les 3e et 1ère avenues dans l’axe nord- Sud, entre Charlesbourg, Limoilou et le centre-ville. Si la ligne principale du tramway n’est pas construite sur l’axe urbain principal de Québec, nous croyons qu’il vaut mieux attendre des jours meilleurs et faire comme M Labeaume, tabletter le tout pour l’instant et « tripper » comme des dingues sur l’amphithéâtre.
Monsieur Labeaume vient de renvoyer le projet de tramway aux calendes grecques. Finalement, on n’est pas plus avancé à Québec en 2013 qu’on l’était en janvier 2004, alors que Droit de parole, dans un élan visionnaire un peu trop optimiste, présentait un dossier sur « la fin de l’automobile au centre-ville » Archives Droit de parole