La vraie histoire du Centre Durocher

Publié le 3 février 2015
Centre Durocher Photo: Marc Boutin
Centre Durocher
Photo: Marc Boutin

Par Lise Beaupré

Nous sommes un char de Lise, Line, Lynda, Nathalie, Marc, Michael, etc., ayant participé aux actions du Comité de Sauvegarde du Centre Durocher (C.S.C.D.) qui comme des millions d’autres, condamnons l’assassinat des rédacteurs du Charlie Hebdo. Dans la course à l’opinion qui a suivi l’attentat, nos élu(e)s l’ont condamné aussi et le maire et son conseil municipal se sont heureusement fait discrets…

Peut-être parce que la démocratie est attaquée ici même chaque jour : tentant depuis des années de mettre fin aux consultations et référendums locaux sous prétexte de leur nuisance, nos élu(e)s les ont finalement interdits à l’automne 2013, nous en a avisé Chantal Gilbert au conseil de quartier en affirmant que « les élu(e)s savent mieux que nous ce qui est bien pour la Ville » !

Voilà comment l’attentat au Charlie Hebdo nous fait réfléchir à la valeur que nous accordons à la démocratie dans la cité qui en est le premier lieu d’expression. Ce sont d’ailleurs les médias qui dévoilaient au printemps 2013 le secret bien gardé de la démolition du Centre Durocher, pour y construire 54 logements, puis 64 et peut-être 80, selon Armand Saint-Laurent d’Action- Habitation. Il existe deux versions de cette histoire du Centre Durocher :

La version officielle affirme que « l’édifice menace de s’effondrer », que « c’est un dossier trop complexe pour de simples citoyen(ne)s », que «la ministre Agnès Maltais a refusé 4 fois de le financer » (source Chantal Gilbert, 13 octobre 2013), qu’il « faut démolir à cause de l’amiante », que « la réfection a été évaluée à 23M$ par l’ingénieur en chef de la ville » (sources Pierre Morin, DG du centre Durocher, Chantal Gilbert, Geneviève Hamelin).

Au dépôt de notre pétition de 2 100 signatures, le 22 avril 2014, demandant un moratoire et une consultation citoyenne sur le maintien de sa vocation publique, le maire a répondu qu’il « ne savait rien de tout cela et ne s’en mêlait pas car, c’était une affaire privée ».Les « pro-démolition » ont voulu montré que pour eux, nos « 2 100 signatures ne valaient rien » et que « la Ville n’avait pas l’intention d’y répondre » (source Armand Saint-Laurent, 24 septembre 2014). Mais pourquoi avoir gardé cela secret, toutes ces années ?

Notre version, au C.S.C.D., est que, dès 2007, Pierre Morin a demandé une subvention à la Ville et que la conseillère Geneviève Hamelin a piloté le dossier. Après 4 refus, Pierre Morin a appelé à la rescousse la ministre Agnès Maltais, mais comme le Centre relève du municipal, Agnès Maltais a offert au maire d’inscrire le centre au programme provincial de 134 M$ pour les infrastructures récréatives. Régis Labeaume a refusé (source Agnès Maltais, décembre 2013). Pourquoi ?

Une source sérieuse a révélé que Régis Labeaume a reçu une offre du privé pour y construire des condos de luxe mais qu’il a dû reculer devant la résistance citoyenne qui aurait empêché le changement de zonage nécessaire. L’idée de rendre l’endroit lucratif a germé : la ville était propriétaire du centre Monseigneur- Bouffard, peu fréquenté, et un nouveau projet appelé Habitat à Mixité Sociale ou HMS (source Pierre Morin) fut déposé au bureau de Jean Mathieu (source Jean Mathieu, octobre 2013), responsable des projets d’habitation de la ville.

La Ville a cédé la gestion du centre Monseigneur- Bouffard au C.A. du Centre Durocher et Action Habitation a acquis en échange le centre Durocher, évalué à 2,2 M$, pour 700 000 $ (source protégée et Chantal Gilbert, novembre 2013), afin d’y construire un immeuble de 54 logements sociaux et au prix du marché.

Bien qu’en 1979 le centre fut cédé par les Oblats à la Corporation du Centre Durocher pour 1 $ à condition d’y conserver sa vocation paroissiale sur place (point 6 du contrat), le C.A. du centre et sa direction créaient le 27 mai 2013, 2 semaines avant leur assemblée générale annuelle, la Corporation «Habitation Durocher » appelée à devenir le gérant du nouvel immeuble… La démolition fut ensuite présentée aux membres au point VARIA de leur AGA du 5 juin sans qu’ils et elles aient été préalablement informé(e)s et sans qu’ils puissent voter.

Le 30 juin 2014, le centre est donc cédé à la Ville et à Action Habitation et malgré sa prétendue dangerosité, le CPE et le CRDI y sont encore début 2015 ! Les employés ont perdu leurs postes et certaines ont été transférés au nouveau Centre Durocher. En juillet 2014, Corporation du Centre Durocher a été dissoute et engloutie dans Habitation Durocher. Quant à l’amiante, une étude indépendante en a évalué le coût du retrait à 150 000 $. Pour l’évaluation des coûts à 23 M$, le C.S.C.D. a appris en novembre 2014 qu’il n’y a pas plus d’ingénieur en chef impliqués que d’évaluation faite par la Ville. La Ville est propriétaire du tiers de l’immeuble et du terrain (source Service de la gestion immobilière de la Ville de Québec).

Action-Habitation est propriétaire d’une autre partie, et sans doute qu’Habitation Durocher (feu Corporation centre Durocher) détient le reste. Les questions qui demeurent sont: si la clause 6 de 1979 peut annuler la vente de juin 2014 ? Si le C.A.Durocher y est lié légalement ou moralement ? Combien coûtera la construction de ce HMS ?

Comme pour l’Hôtel-Dieu!

Comme pour l’Hôtel-Dieu qui soigne les gens depuis 370 ans, les élu(e)s de passage n’ont pas la légitimité de détruire, dans un moment d’aveuglement volontaire axé sur le seul profit, ce patrimoine et sa vocation publique sans consulter la population. Ce dossier « HMS » est vite et mal monté. L’architecture de façade détonnera dans l’environnement par sa hauteur (5 étages et +) et la probable dévaluation foncière suivra pour les immeubles de 3 étages (zonage municipal) des alentours qui paraîtront écrasés et pris dans un ghetto.

L’École d’architecture de l’Université Laval l’a déploré en mars 2014 et nos 2100 signataires l’ont signalé : l’historien Réjean Lemoine, des fonctionnaires, des intervenant(e)s, des commerçant(e)s, des ex-employé(e)s du Centre Durocher, toutes sortes de gens du quartier, de la ville et d’ailleurs.

Si une ville doit garantir l’accès au logement, il ne manque pas de terrains pour ça et la Ville doit également offrir des lieux publics favorisant la qualité de vie. Ne pas répondre à la demande d’un moratoire et d’une consultation publique entache la prétention de la Ville de pourvoir à l’habitation. La Basse-Ville appartient autant au patrimoine que la Place Royale. L’Histoire et le patrimoine ne sont pas destinés aux revues d’Art déco mais un rappel objectif des habitudes de vie et efforts déployés par les citoyen(ne)s au fil des siècles et qui constituent la Nation et la Culture!

Nous sommes 2 100 à leur avoir signifié notre volonté de conserver sur place un espace public respectueux de notre histoire locale et de nos usages: nous en appelons à signataires et aux nouveaux pour faire savoir que nos voix valent plus que RIEN.

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