Par Pierre Mouterde
Rappelez-vous, c’était en juin dernier, lors du dépôt du premier budget du gouvernement Couillard, le ministre des finances Carlos Leitao, et le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, nous avaient, sans rencontrer grande opposition, installés dans la nasse du déficit zéro en 3 ans (« il y a un déficit structurel, le moment est venu de prendre des décisions difficiles », et patati et patata). Une nasse fabriquée de toute pièce, reposant sur des prémisses éminemment contestables, mais aux effets passablement désastreux.
8 mois plus tard, on commence à en prendre toute la mesure, tant la liste est déjà longue :
On le voit, c’est à une attaque en règle à laquelle on a affaire; à une attaque sans précédent qui, si elle soulève chaque fois dans le secteur concerné de fortes oppositions, n’a pas encore fait l’objet si ce n’est de la grande manifestation de fin novembre, de réactions concertées et généralisées.
Il faut dire qu’on se trouve confronté à une véritable « stratégie du choc », stratégie dont on sait, pour reprendre les analyses de Naomi Klein, qu’elle a déjà été maintes fois utilisée ailleurs et qu’elle vise par l’ampleur, comme par la rapidité des réformes imposées, à tétaniser ses opposants potentiels, en somme à annihiler toute résistance d’ensemble digne de ce nom.
Mais le symptomatique est sans doute ailleurs. À y regarder de près, ce qui est troublant dans cette vague de réformes, c’est qu’en mettant ainsi la hache dans les dépenses gouvernementales, elle tend à jeter les bases d’un nouveau modèle de société, en tous points contraire à ce qui s’était laborieusement constitué au Québec depuis la Révolution tranquille. Un modèle qui a déjà failli dans de nombreux autres pays.
Cette fois-ci, ce qu’on veut, foi de Martin Coiteux, l’idéologue néolibéral, c’est en finir à tout jamais avec l’État providence ou interventionniste, avec « les préjugés favorables aux femmes et aux travailleurs », avec les tentatives d’humaniser ou de réformer le capital. Ce qu’on veut, c’est revenir dare-dare aux seules lois du marché, à un « capitalisme pur » sans régulation aucune, là où seuls comptent les intérêts sonnants et trébuchants des marchés financiers, « les eaux glacées du calcul égoïste ».
Mais pourquoi, pour qui, se demande-t-on ? La réponse est facile à trouver, il suffit de regarder à qui ces politiques font mal et à qui elles profitent, en somme à qui profite le crime. Peu importe le terme utilisé. Qu’il s’agisse de « classes moyennes », de « salariés », ou de « travailleurs », ce sont eux qui, à l’évidence, écopent et font les frais de ces politiques. Alors qu’il aurait été si facile, pour combler une bonne partie du déficit, d’aller chercher de nouveaux revenus, notamment en taxant le capital ou les plus fortunés (grandes pharmaceutiques, minières, banques, etc.).
Or c’est ce qu’on oublie de rappeler et que les données colligées par le Crédit suisse et publiées récemment par Oxfam mettent bien en lumière à propos des effets de la régulation néolibérale : jamais les riches n’ont été aussi riches, et qui plus est, le sont chaque fois plus. Ainsi, alors que le 1 % des individus les plus fortunés au monde possède déjà en 2015, 48 % du patrimoine mondial, ce 1 % en possèdera, si la tendance se maintient, 50 % en 2016. Et cela, pendant que les ¾ de l’humanité les moins riches se partagent quant à eux, 5, 5 % de la richesse totale produite.
Pas de doute là-dessus, l’austérité néolibérale si vous voulez en comprendre le sens, c’est d’abord comme ça qu’il faut la voir : il n’y a que les riches qui en profitent !