Les gens du quartier Saint-Sauveur ont reçu récemment leur cadeau collectif de Noël de la part du vrai père Noël dont les ateliers sont situés dans le secteur de l’hôtel de Ville de Québec. Il s’agit d’un gros jeu de déconstruction, fabriqué par une compagnie de démolition, accompagné de la machinerie pertinente, le tout apporté subrepticement par ses lutins dans la cour du Centre Durocher, avec une autorisation de le démolir pour le reconstruire selon les caprices et les intérêts du promoteur, mais avec un espace grand comme une toilette publique pour loger quelques livres, chaises et ordis, de même que la moitié de l’édifice en logements moins chers que ceux du marché. Le site deviendrait donc du domaine privé, mais avec quelques nananes publics pour sauver la face.
Pour éviter la vengeance des jaloux du secteur qui pourraient faire du chichi avec un projet de Maison de la culture, la grosse boîte contenait aussi un assemblage de bases en béton massif permettant de bien ancrer des clôtures totalement opaques de près de douze pieds de hauteur, soit une palissade de même qualité que celle de l’ambassade des États-Unis à Téhéran. Enfin, une petite grue permettrait d’en ouvrir et fermer une section de façon étanche, matin et soir, aux fins de travaux secrets et discrets qu’on doit y mener et du transport de matériaux sensibles. Un kit de peinture était aussi fourni pour cacher les graffitis contestataires qui y seraient éventuellement dessinés et, de toutes façons, un bon de commande du commanditaire mandatait et finançait un artiste pour les cacher par une jolie fresque afin d’éviter ainsi une récidive potentielle des orques des bas-fonds populaires, en y saupoudrant des tags ou flops noirs.
Le terrain concerné avait été donné jadis gracieusement par la Ville aux pères Oblats et l’ensemble de l’œuvre exempté de taxes à la condition expresse de consacrer pour l’avenir les lieux au rayonnement de la vie communautaire et paroissiale. Cela fut fait, de sorte que le Centre devint jusqu’à aujourd’hui le cœur palpitant d’un quartier ouvrier, populaire et commercial dynamique et actif. La grande chanteuse Alys Roby, et le ténor Raoul Jobin, chevalier de la Légion d’honneur en France et compagnon de l’Ordre du Canada, en auraient été fiers.
Un jour vint la nécessité de restaurer l’édifice vieillot, mais bien charpenté. Un projet de Maison de la culture fut recommandé par le Conseil du quartier, le Comité citoyen et de très nombreux résidants et gens d’affaires. Mais, les lutins du père Noël s’en lavèrent les mains. Ils nous dirent que cela ne les concernait pas et qu’il fallait s’adresser ailleurs pour obtenir des cadeaux et même une simple écoute du père Noël. L’argent disponible était prévu pour d’autres quartiers plus méritants que le nôtre, mais pas pour nous. M. Scrooge de Dickens n’aurait pas fait mieux. Ils ne voulurent pas rencontrer les pères Oblats, ni personne d’autre, et expédièrent tout simplement le paquet mentionné au début de notre histoire.
Le père Noël n’a jamais voulu reconnaître que notre quartier avait une vie autonome, une richesse culturelle intense, une dynamique propre et un cœur qui battait au rythme de ses zouaves, de ses prédicateurs, de ses commerces de proximité, de ses artistes et de ses organismes communautaires, de ses jeunes familles, de ses nouveaux arrivants, bref qu’il avait dans ce creuset une histoire riche et un projet rassembleur.
Donc, pour nous gens du quartier, pas de magie de Noël, de fête de famille, de chaleur humaine, de réconciliation, de fraternité, de partage, de douceurs, de tolérance, d’altruisme, d’airs de fête, de sapin chaleureux, de cloches ni de couleurs.
Comment croire dans ces circonstances que le père Noël n’est pas une ordure ?
René Boudreault, résidant du quartier Saint-Sauveur
Québec