Christine Beaulieu a relevé tout un défi avec J’aime Hydro, une œuvre qu’elle a écrite et qu’elle joue sur la scène de La Bordée pendant presque quatre heures, sans pour autant nous ennuyer avec ce sujet a priori pas des plus sexy. Elle y parvient avec un amour contagieux pour le théâtre, pour le Québec, son histoire et son territoire.
La mise en scène intelligente et minimaliste de Philippe Cyr n’est pas sans rappeler la distanciation du théâtre de Brecht. Cette approche rejetant toutes formes d’illusions participe à notre plaisir, et on suit avec grand intérêt la genèse de la recherche que la comédienne a faite depuis 2015 sur Hydro-Québec.
Sa question principale? Pourquoi donc Hydro-Québec a-t-elle persisté à construire le barrage sur la rivière la Romaine malgré l’avis des experts qui démontraient, rapport après rapport, que cela ne serait pas rentable, malgré les films, malgré les écologistes, malgré les contestations citoyennes ?
Avec quelques tables et quelques chaises sur scène, des projections de documents d’archives (dont celle de René Lévesque expliquant les avantages de la nationalisation d’Hydro-Québec), Christine Beaulieu livre les résultats de sa recherche doublés de récits plus personnels sur sa vie quotidienne, son travail, ses amours.
Le comédien Mathieu Gosselin, qui lui donne la réplique, incarne tantôt son père, un représentant de la société d’État, un syndicaliste de la Côte-Nord, ou Annabel Soutar, la directrice artistique du Théâtre Porte parole, avec qui dialogue l’artiste. Mathieu Gosselin, qui dira, lors d’une discussion sur le titre: «Le sujet de cette pièce, c’est l’amour», porte la pièce avec Christine Beaulieu et s’amuse avec tous ces rôles, dans un jeu sans artifice et très efficace. La conception sonore de Mathieu Doyon, membre du duo d’artistes en arts visuels Doyon-Rivest, complète le trio.
On s’amuse dans ce théâtre politique où la «comédie» se retrouve plus souvent qu’autrement dans les commissions et autres consultations gouvernementales auxquelles a assisté Christine Beaulieu sans jamais avoir de réponse à ses questions.
Cette œuvre a le mérite de nous rappeler toutes sortes d’événements oubliés, les diverses controverses concernant Hydro-Québec, la place toujours plus grande donnée aux entreprises privées par la société d’État, l’opacité d’Hydro-Québec quand il s’agit de contester ses projets de constructions.
Les représentants de la société d’État vont d’ailleurs rapidement courtiser Christine Beaulieu et l’inviter à visiter la Baie-James en avion où elle prendra conscience de l’immensité du territoire en se demandant si ce «nous» et cet attachement pour Hydro-Québec qui nous a fait maîtres chez nous sont partagés par les Cris et les Inuits du Nord.
Dans le 4e épisode, elle se rendra aussi en voiture électrique jusqu’à Havre Saint-Pierre (la pièce est commanditée par les voitures électriques de Nissan et la publicité est loin d’être cachée). Elle y visitera les installations du projet de la Romaine pour compléter son documentaire. N’en disons pas plus…
Au terme de son enquête citoyenne, de dizaines d’entrevues, de quelques rêves sur les conflits anticipés et d’un séjour de retraite de yoga aux Bahamas, la comédienne, qui croyait au début de son entreprise que la Romaine était une sorte de salade, remettra en question la pertinence des grands projets de barrages d’Hydro-Québec.
Même si la dernière partie apparaît un peu longue, elle aura l’avantage de nous rappeler qu’il est plus rentable d’économiser l’électricité que de faire de nouveaux barrages, et que même les libéraux de Philippe Couillard «affirment» qu’ils ne veulent plus en construire. On apprend que la CAQ est le seul parti politique qui défend encore ce genre de méga-développements, malgré que les technologies solaires soient en voie de les rendre désuets.
On sort de La Bordée en se disant que le combat de cette comédienne, devenue militante, est aussi le nôtre et qu’il n’est certainement pas terminé à la sortie du théâtre. On en sort, en se disant que notre rapport avec la nature peut d’ores et déjà changer. En s’inspirant de cette Autochtone de Havre-Saint-Pierre, on pourrait remercier les rivières, lorsqu’on allume la lumière, ouvre notre ordinateur et que le café coule…