Depuis la publicisation en décembre 2014 du projet immobilier de 6 500 unités pour occuper les 200 hectares de bonnes terres agricoles des Sœurs de la Charité – un projet qui avait l’originalité d’être présenté comme une entreprise philanthropique –, beaucoup d’eau a passé sous les ponts.
On peut penser que l’astuce de mécénat visait à faire accepter le bétonnage de terres agricoles exceptionnelles, encore cultivées, et enclavées dans la Capitale du Québec (en fait, elles étaient en périphérie des villes de Charlesbourg et de Beauport avant les fusions de 2002). On peut faire bien mieux.
Rappelons rapidement les paramètres du projet : construction d’une petite ville représentant au moins un parc immobilier de 2,6 milliards de dollars sur des terres achetées 39 millions, et une affectation de résultats financiers de 75 millions chacun à deux fondations : celle des Sœurs de la Charité pour continuer leurs belles oeuvres et celle du promoteur pour continuer les siennes.
Ce projet, très rentable selon les critères actuels basés sur un coût du terrain non aménagé de 6 000 $ par unité, se heurte toujours à l’obtention de dézonage /zonage et de permis :
• obtenir une modification du périmètre d’urbanisation via le Schéma d’aménagement et de développement à être acceptée par le gouvernement du Québec (pas encore entériné).
• obtenir un dézonage agricole auprès de la Commission de protection du territoire agricole (CPTA) n’a pas été déposé et n’est pas acquis.
• obtenir les permis de construction avec le zonage demandé (pas encore fait) Pour la Ville de Québec, la perspective de la taxe foncière sur 2,6 milliards d’immobilier est certes attrayante, quoiqu’il faille fournir des services importants à cette nouvelle ville tout enclavée qu’elle soit et cela n’aurait pas été à coût nul.
La dimension de l’acceptabilité sociale est également loin d’être acquise. La ville est notre milieu de vie et son aménagement nous concerne, nous les payeurs de taxes. Or, lors des audiences pour la préparation du Schéma d’aménagement et de développement en 2017, la société civile a été majoritairement en faveur du maintien de l’usage agricole des Terres des Sœurs de la Charité.
La dimension patrimoniale et culturelle ne doit pas être oubliée. Cette Congrégation a été pionnière, entre autres, en agriculture et en traitement de maladies mentales par le travail agricole, et il y a là un devoir de mémoire de son œuvre globale.
De plus, notons que les quatre dernières années ont fourni des arguments solides pour maintenir l’usage agricole s’inspirant des attentes de notre population eu égard à la traçabilité et les circuits courts (multiplication de marchés publics et d’offre de paniers-fermiers).
La conscientisation grandissante envers une agriculture naturelle, à l’échelle humaine, biologique – moins dépendantes des industries fossiles et chimiques – des films comme Demain et La ferme et son état, enfin une autre sonnette de Harvey Mead avec son livre Trop tard, nous dictent la voie de la précaution et de la prudence dans les changements d’usage. En un mot, bétonner ces terres agricoles serait presque, sinon un crime contre l’humanité.
Compte tenu de ce qui précède, le débat de société va se poursuivre avec plus de vigueur si l’une des étapes mentionnées plus haut est franchie favorablement, et l’opposition à ce projet est garantie et pourrait mettre en péril d’autres ailleurs à Québec. Nos élus et la CPTA vont devoir bien réfléchir, car il me semble que l’idée de convertir cet espace agricole en petite ville devrait être abandonnée. Ce serait un enjeu de la campagne Élections 2018 à Québec.
D’aucuns vont invoquer les taxes que lorgnaient la Ville et les prévisions de revenus du promoteur. Pour les prochains dix ans, la Ville peut et doit densifier dans les limites de son périmètre d’urbanisation actuel et cela aurait l’avantage de se faire presque sans nouveaux déboursés, ni augmentation de budget.
Par ailleurs, elle va bénéficier du nouveau champ de taxation rattaché à un partage de la TVQ. Quand au promoteur qui est très impliqué dans la région de Québec, les projets du Phare et du secteur IKEA entre autres, et son portefeuille de terrains disponibles, devraient fournir des chantiers immobiliers générateurs de profits pour de nombreuses années à venir.
L’approche philanthropique qui habillait le projet des Terres des Sœurs de la Charité en 2014 doit être repensée et grandement modifiée pour tenir compte des enjeux de société, respecter le principe de précaution, dans la perspective de redonner au suivant quelque chose de plus significatif et avec une permanence dans le long terme.
Nul doute que M. Dallaire peut s’inspirer de certains mécènes visionnaires et faire des Terres des Sœurs de la Charité une pépinière de « Pousses urbaines ». Des gens de bonne volonté de la société civile et du monde agricole pourraient être associés pour définir un projet visionnaire et porteur d’espoir.
Sans connaitre le montage financier et la structure de l’achat de 39 millions de dollars de cet ensemble agricole, il pourrait être versé dans une fiducie agricole pour permettre son utilisation par des jardiniers maraîchers et petits éleveurs selon des ententes (protocoles) garantissant la stabilité et la prévisibilité des modalités financières d’utilisation.
De plus les Terres, et idéalement les résidences de la Congrégation, pourraient être protégées par un statut patrimonial et intégrées au site patrimonial de Beauport. Un centre d’interprétation doit être envisagé avec l’aide de la Congrégation, pour rappeler l’œuvre gigantesque de cette dernière.
Ce centre pourrait d’ailleurs servir de centre québécois de mémoire des œuvres des autres congrégations qui ont garanti notre survie et assuré notre présence et notre essor en Amérique du Nord. Rappelons-nous juste que 80 % du budget du Québec actuel couvre les activités assumées par les Communautés religieuses dans les années 1960 en santé, éducation et services sociaux.
Pour la Ville, ce serait comme l’ensemble du Central Park de New York dans l’est de notre Capitale, juste un peu plus petit (204 hectares au lieu de 340 à New York), devenant le Jardin maraîcher de la Capitale pour alimenter les marchés publics et les particuliers, en plus d’être un créateur d’emploi agricole en ville. On pourrait y intéresser les institutions d’enseignement qui cherchent des espaces agricoles de proximité.
Combien de ville dans le monde peuvent-elles s’enorgueillir d’avoir dans leurs limites un tel espace vivant, apaisant et capable de produire pour nourrir la population locale comme cela se faisait dans un passé pas si lointain?
Ce pourrait être une première mondiale. Finalement, le gouvernement du Québec et le Ministère de la Culture comme fiduciaires de notre patrimoine collectif, ne peuvent pas être insensibles à un classement approprié et pourraient contribuer financièrement à des acquisitions ou la réalisation du centre d’interprétation. Ce financement devrait prendre acte que les congrégations religieuses sont des aidants naturels auprès de leurs membres malades ou âgés, et ainsi, pas à la charge de l’État.
J’interpelle ici M. Dallaire pour nous offrir un vrai projet philanthropique à la hauteur des ambitions de la société civile. Gardez ce joyau dans son usage agricole à la hauteur de ce que la région de Québec vous a donné, vous donne et va encore vous donner. Un tel projet serait éminemment rassembleur et créateur de petites entreprises et d’emplois. Des aliments locaux seraient offerts à la population qui en demande.
De plus, le devoir de mémoire de l’œuvre de la Congrégation des Sœurs de la Charité serait assuré et éventuellement un statut patrimonial mériterait de couronner propriété et œuvre. Cela pourrait inclure l’ensemble du legs social, culturel et humain des communautés religieuses établies au Québec. Le seul héritage : la fierté de vos enfants et petits-enfants de cette réalisation.
Enfin un projet porteur d’espoir, bien présenté et bien approprié au contexte actuel.
Monsieur Dallaire, ceci est une proposition des plus intéressantes!
Monsieur Labaume, vous en seriez ravi, et cette fierté serait bien plus grande que le retour attendu des comptes de taxe.