Le metteur en scène Christian Lapointe et le théâtre Carte Blanche travaillent sur un projet ambitieux : l’écriture d’une constitution du Québec. Le texte sera écrit par une assemblée constituante citoyenne à la suite d’une vaste consultation.
Il y a trois façons d’y participer : en complétant le questionnaire en ligne, en déposant un mémoire (avant le 18 février) ou en assistant à la soirée du 28 janvier prochain au Périscope et dans une dizaine de théâtres au Québec, de Rimouski à Rouyn-Noranda. C’est l’occasion pour les personnes intéressés d’exprimer leur vision du Québec.
Comme l’explique Christian Lapointe: «Écrire la constitution, c’est se demander «T’es qui? Tu veux quoi? Et comment tu vas le faire!» À Québec, la soirée de consultation du 28 janvier se déroulera au théâtre Périscope, sous forme de discussions en petits groupes, suivies d’une plénière, de mise en commun des résultats des discussions.
Ce projet de constitution citoyenne deviendra ensuite une pièce de théâtre qui sera jouée au Périscope dès juin 2019 et dans dix théâtres à travers le Québec. Le texte sera aussi proposé aux élu-e-s et déposé à l’Assemblée nationale du Québec à l’automne 2019. Certes, c’est un projet de théâtre, mais c’est un jeu tout ce qu’il y a de plus sérieux.
Cette vision du théâtre est éminemment politique et semble aussi répondre aux préoccupations actuelles des citoyens qui, partout dans le monde, prennent la parole et veulent participer de manière plus directe à la démocratie. Pensons seulement au mouvement des gilets jaunes en France. En fait, il y a un momentum pour ce projet.
Le théâtre comme agora populaire
Pour le metteur en scène : «Le théâtre, c’est un lieu citoyen, comme la bibliothèque et la piscine. C’est un lieu public, un lieu de débat. Aujourd’hui, cet espace civique du théâtre est oublié. C’est une façon de redonner au théâtre la fonction d’agora populaire. »
Il s’agit d’un projet de théâtre documentaire. Mais ici, le metteur en scène de Québec a lui-même suscité l’événement pour mieux ensuite en témoigner. Ce projet fait plus que s’inspirer du réel : il y participe, il le provoque :« Je génère le processus pour ensuite le documenter. Je n’ai pas les deux mains sur le volant», explique le créateur. «Tout ce que j’ai fait, c’est trouver du financement». Le projet est supporté par de multiples commanditaires provenant de syndicats ou de l’entreprise privée.
La consultation est menée par l’Institut du Nouveau Monde qui a organisé, depuis trois ans, des séances de consultations à travers le Québec. Quarante-deux personnes représentant la diversité des Québécois, provenant de villes, de régions, d’origines et de niveau d’éducation divers ont été sélectionnées au hasard par la firme Léger 360 pour participer au projet. Ce sont ces personnes qui vont écrire la constitution, inspirées par leurs rencontres aux quatre coins du territoire.
Le Québec et la constitution canadienne
Le Québec, comme chacun le sait, n’a jamais signé la constitution canadienne. Parler de constitution a longtemps été perçu comme négatif, ennuyant, voire douloureux. Selon Christian Lapointe, cette vision négative de la constitution est délibérément véhiculée par les gouvernements pour nous en désintéresser. Mais les temps changent…
Depuis quelques années, on entend parler de la constituante. La démarche de Christian Lapointe fait penser à celle d’Étienne Chouard en France qui défend une constituante en multipliant les conférences et les textes sur le sujet.«Ce qu’il décrit, c’est exactement ce que je fais ici», explique Christian Lapointe.
Le projet de constitution citoyenne est aussi dans les cartons de Québec solidaire (QS). Mais La démarche théâtrale et collective de Christian Lapointe a le grand avantage d’être non-partisane. Elle n’est ni le projet d’un parti politique, ni celui de l’État. C’est un projet de consultation citoyenne ouvert (c’est-à-dire sans a priori lié à l’indépendance du Québec). «Ce que Q.S. voulait faire avant la fusion avec Option-nationale, c’est ce que je fais».
«Ce que je fais, tous les gouvernements auraient pu le faire depuis 1982», lance-t-il.
Christian Lapointe, qui travaille sur le projet depuis trois ans, est passionné par ce sujet:«Pendant qu’on n’a pas de constitution, les partis politiques et les corporations ont le beau jeu. C’est ce qui permet qu’on donne notre eau potable à des entreprises qui viennent nous la revendre à des prix plus élevé qu’un litre d’essence. »
Ainsi, le rappelle Christian Lapointe, ce projet de théâtre est un jeu des plus sérieux, mais la fiction permet une grande liberté d’expression : «Les gens n’ont pas peur de se livrer. Ça donne une certaine liberté. J’y vois une façon de libérer les langues.»
Pendant ce temps, une firme tourne un documentaire sur Christian Lapointe «en train de préparer cette pièce de théâtre documentaire sur l’écriture de la constitution». Belle mise en abîme ! comme dit l’instigateur du projet. Voilà qui rappelle qu’on est ici dans un projet hybride entre l’art et la démocratie directe.