Écrire marque l’imaginaire. Lire alimente nos réflexions. L’annonce de Prix littéraires des Éditeurs et la tenue des Salons du livre demeurent des événements courus même… en temps de pandémie ! Hyperactifs sur les plateformes numériques de nos écrans et casques, le « droit de lire », comme le « droit de parole », en appelle toujours à l’ouverture contre toutes les tentatives de censure ou d’omission. Là est l’esprit de décolonisation.
Si 59% des 300 millions de locutrices/eurs de la francophonie résident en Afrique et que neuf millions persistent dans une Amérique du Nord étatsunienne et canadienne anglophone de 350 millions d’individus et sa culture mondialisée, c’est pourtant de Paris, qui concentre 90% des éditeurs, que vient la saison des prix littéraires de la francophonie et nombre de traductions. Bref LE centre culturel colonial. Or, cette année en 2020, deux échos de décolonisation ont retraversé l’océan Atlantique: la québécoise Dominique Fortier, avec Les Villes de papier, et une vie d’Emily Dickinson, gagne le Prix Renaudot pour l’essai tandis que l’auteur Ilnu Michel Jean gagne le Prix France/Québec pour son roman Kukum.
Entre 2007 et 2009, l’écrivain Yann Martel (l’Histoire de Pi, Booker Prize 2001) offrit cent livres au premier ministre canadien conservateur d’alors, Stephen Harper, afin de le sensibiliser aux arts (101 lettres à un premier ministre. Mais qui est Stephen Harper ?, XYZ Éditeur 2011). Vingt ans après, l’Association des Libraires indépendants du Québec (ALQ) s’empêtre dans les sables mouvants de la culture de l’annulation autour des lectures divulguées d’un premier ministre du Québec lecteur. À l’opposé, plusieurs écrivain.es des Premières Nations sont primé.es dans diverses catégories artistiques allant des Joséphine Bacon, Marie-Andrée Gill, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Thomas King, Naomie Fontaine, Michel Jean, Yves Sioui Durand. Or, un événement peu médiatisé, les a tous.tes réunis depuis Wendake près de Québec fin novembre : Kwahiatonhk, la 9ième édition du Salon du Livre des Premières Nations.
À douze kilomètres du Carré JacquesCartier (navigateur français arrivé à Stadaconé en 1535-36) au cœur de la Basse-ville de Québec, se trouve la réserve autochtone de Wendake. Comme autrefois pour l’important commerce des fourrures à partir du territoire ancestral du Nionwentsïo pendant trois siècles, puis dans la fabrication de l’artisanat, des raquettes et bottes, à partir de ce que l’on appelait le Village-des-Hurons à Lorette au passage de l’ère industrielle du XXe siècle, c’est maintenant dans l’univers culturel autochtone à notre époque hypermoderne, que l’on retrouve le leadership des Wendat comme continuité créative. En effet, en 2020, Wendake est la plaque tournante des radios communautaires autochtones (aux antennes dans plus de trente réserves) ; elle organise un flamboyant Pow Wow dans le Cercle sacré et l’imposante agora près de la rivière Akiawenrah. Mais ce sont ses artistes et intellectuels contemporains qui assurent de manière inter nations le rayonnement aujourd’hui. Outre les domaines de revitalisation de la langue et des arts interdisciplinaires, les littératures autochtones trouvent un pivot à Wendake.
Si l’éditeur Hannenorak et la librairie du même nom s’imposent dans le milieu, c’est Kwahiatonhk – « laisser des traces, marquer l’imaginaire » -, le seul Salon du livre des Premières Nations en Kanata’ tout entier a frappé fort cet automne. Sa neuvième édition, organisée par LouisKarl Picard Sioui et son équipe, pendant la dernière semaine de novembre, a dû complètement se réinventer en ligne d’une manière extraordinaire.
On renoue technologiquement en interactivités sur les différentes plateformes des réseaux médiatiques (site web, applications de balados, page Facebook et You tube) avec les formes de l’oralité autochtone ; des lectures de vive voix dont les fameux déjeuners littéraires et la série Survivre au temps, les intéressants balados littéraires, l’apparition de la vidéo littérature, des «talk show live» comme le Pestak bin tard, des spectacles dont la primeur Mononk Jules et le musical WendaKebek), et l’iconographie de bandes dessinées en appelèrent à l’écoute de tous ces éléments fondateurs de nos civilisations avant l’imprimé européen.
Au moment où vous me lisez, c’est l’hiver. Sortir dehors dans l’hiver blanc de neige et de lumières festives est assurément sain face au confinement. N’hésitez pas à entrer dans les librairies indépendantes sur la rue St-Joseph, la 3ième avenue et pourquoi pas une visite en territoires Wendat à la librairie Hannenorak sur le boulevard Bastien. S’y trouvent les nouveaux ouvrages de Jocelyn Sioui Mononk Jules et Okihoüey Atisken. L’esprit des os. Écrits théoriques, poétiques et polémiques d’Yves Sioui Durand ainsi que Chauffer le dehors d’Anne-Marie Gill. Lire rouge sur fond blanc.