Des autorités locales qui se chamaillent, une enquête publique qui stagne, une Sécurité publique qui tarde, une bactérie croupissante qui papillonne et frappe à mort, un cafouillis administratif sans borne, une information qui ne circule pas, j’avais l’impression, en regardant au ralenti les images de cet été, de revoir un mauvais film de charlots. Du grand guignol, avec un directeur (Dr Gilbert) de la Santé publique qui s’excuse presque de faire son job, un maire Labeaume revenu de vacances qui aboie et qui ne sait plus trop qui mordre, des gestionnaires d’édifices (CSQ, SIQ…)*1 qui lavent tous plus blanc que blanc, des politiciens (au sujet d’un certain rapport de 1997) qui n’ont jamais rien vu, rien entendu (tiens!), tout ça sur fond de colportage de rumeurs avec en arrière-plan un public d’abord sage et bon enfant, devenu progressivement plus soucieux et plus méfiant puis, bouleversé et atterré. Des gens finalement, qui se sont sentis laissés pour compte, et que l’apathie et l’incurie auront mis k.o. pour le compte. Une grossière tragi-comédie d’erreurs en somme, qui prouve, s’il fallait encore s’en étonner, que la population de Québec est vraiment mal protégée en cas de crise majeure. Très mal, même !
Évidemment, on objectera la ouateur de la canicule, la vie au ralenti pendant les vacances d’été qui se prolongeaient, les élections plutôt mal venues qui se pointaient… N’empêche! On aurait du savoir beaucoup plus tôt – puisque on avait le nez dedans – qu’autour du 320 St-Joseph-Est, au centre-ville de Québec, la mort rôdait, tapie dans l’eau d’une tour de refroidissement. Pour un, à l’instar des centaines de personnes qui fréquentent quotidiennement le Complexe Jacques-Cartier et la bibliothèque Gabrielle-Roy, et aussi parce que je connaissais personnellement plusieurs des victimes, j’ai été complètement soufflé en apprenant que la chose, la legionella pneumophila se terrait là. Sur le toit. Bêtement.
Là, dans l’eau sale de cette même tour que les représentants de la CSQ s’évertuent encore à nous présenter comme le nec plus ultra de l’asepsie carabinée. « Écoutez, ça nous coûtait 300 dollars par semaine pour la faire nettoyer cette tour-là… On aurait quasiment pu manger dedans ! » Ben voyons ! Un peu aussi ce que nous ont répété tous ces gestionnaires d’immeubles patentés, véritables Monsieur Net et Madame Blancheville, outrés par les questions légitimes des médias, et qui ont tous répété à satiété qu’ils n’avaient pas à faire de test de légionellose, puisque leurs systèmes de refroidissement étaient la propreté même. Du rutilant! Du hors norme! Du clinquant!
Non mais. Avec plus de 180 victimes (déclarées) et 13 décès (connus) comment, effectivement, avions-nous seulement osé douter ?
Trève d’ironie, j’ai hâte au rapport (dont la parution a été remise à plus tard) de la Santé publique. Entre autres, et même si je sais à l’avance qu’il en sera peu question, je voudrais comprendre pourquoi on a mis si longtemps à commencer l’opération de désinfection (trois semaines), sitôt les premiers cas de légionellose connus. En comparaison pourquoi, en 1996, lors de la première épidémie de légionellose, a-t-on mis si peu de temps – à peine huit jours – pour trouver l’édifice coupable, à Place-Québec?*2
J’ai hâte de savoir, aussi, si on mettait les bons produits et le bon dosage, au 320 St-Joseph-Est… Comme le disait monsieur Murray, un spécialiste du privé, on a beau mettre ce qu’on voudra dans l’eau, il faut savoir ce qu’on cherche, si on veut savoir ce qu’on veut trouver! De même, toujours selon l’expert, quand on est sous l’effet de la canicule, il faut mettre le bon dosage, sinon on aura droit à un méchant bouillon de culture!*3 Ce qui ramène à cette sous question: est-ce que le personnel d’entretien de l’édifice de la CSQ, si minutieux était-il, avait les compétences requises et souhaitables pour opérer dans un tel contexte?
Idem pour le personnel des dizaines d’édifices publics qui jalonnent les grandes artères de la ville. Avait-on les bons produits, le bon dosage? Avait-on les compétences requises?
Par ailleurs, j’aimerais bien savoir pourquoi ça aura pris autant d’essais, jusqu’à trois, avant d’avoir la pleine collaboration de nombreux propriétaires privés de la Basse-ville. Aurait-on pu les contraindre de bien désinfecter leurs tours autrement que par d’inoffensifs formulaires bien gentillets et bien proprets?*4 A-t-on seulement pensé à essayer par d’autres moyens plus contraignants, poursuites ou pas? Le maire de Québec – qui se plaisait à rouler des mécaniques devant les médias – a-t-il vraiment bien assumé son rôle de premier protecteur des administrés?
Enfin, qu’est donc devenu ce rapport de 1997, émanant du Centre de Santé publique de l’époque, et qui recommandait expressément au gouvernement du Parti québécois de créer un registre des tours de refroidissement? Tabletté, oui, mais dans quel rayon de quelle officine aurait-on pu oublier un si précieux outil? L’aurait-on lui aussi égaré dans quelque enveloppe suspecte?
En réalité, le moins que l’on puisse dire, c’est que la gestion de la crise de la légionellose aura été des plus lamentables. J’en veux pour preuve toutes ces hésitations, ces bavures et ces maladresses de la Santé publique, mais surtout, son incompétence notoire au regard d’une information qu’on aurait souhaité utile, pertinente et adéquate par rapport au drame vécu.
Je pense ici à tous ces gens, gravement atteints et mal en point, qui faisaient le 8-1-1 et qui se faisaient dire de prendre des cachets de Tylénol (!). Je pense à tout ce monde qui cherchait des renseignements sur les symptômes de la maladie, mais qui ne savait jamais à quel guichet s’adresser. Je pense à Chloé (prénom fictif ), une amie infirmière du CLSC Basse-ville, qui déplorait que la Santé Publique et le MSSS aient mis si longtemps à leur donner un minimum de matériel pour mieux rassurer leurs clients.
Parlant de rassurer, je revois ces dirigeants d’entreprises logeant au Complexe Jacques-Cartier, et qui déploraient l’absence d’intervenants compétents pour rassurer leurs employés, et ce, une semaine après l’identification de la source.
Autrement, parlant de la turpitude des choses, et comme quoi l’exemple ne vient pas toujours d’en haut, j’ai toujours en mémoire les paroles de Marcel (prénom fictif ), un employé du Centre qui, parlant des habitués des lieux, me disait avoir passé la majeure partie de son temps à tranquilliser les habitués des lieux. « Imagine, dit-il, quand j’ai su que c’était ici. J’avais de la peine pour eux autres. Et je me sentais franchement désolé pour tout ce monde-là! »
Enfin, j’ai encore en tête l’image flamboyante de feu mon ami Jean-Paul, 75 ans, un barbier bénévole émérite et un bénévole professionnel plein de mérites, aussi connu que Barabas à l’intérieur du Centre, et qui est mort foudroyé par une crise cardiaque et une double pneumonie un peu avant les débuts « officiels » de l’épidémie.
Évidemment, il n’y a pas eu d’autopsie, mais je serai toujours envahi par un profond doute. Au fait, il y en aurait combien des comme Jean-Paul dans toute cette saga? Vivement l’enquête de la coroner Rudel-Tessier pour faire un peu de lumière!*5
Chose certaine, l’image publique des autorités de la Ville, de la Santé et de la CSQ en ont pris pour leur rhume (!) et il faudra bien plus qu’une tour à 16 étages et quelques Tylénol pour faire passer le mal de bloc qui nous habite depuis! *6
– Le 17 juillet 2012, on recense officiellement les premiers cas de légionellose à Québec.
– Le 22 août, le directeur de la Santé publique confirme un 4ème décès, celui de monsieur Claude Desjardins, 64 ans, domicilié à St-Sauveur. Solange Allen, sa veuve, entreprendra quelques jours plus tard des démarches pour que l’on fasse une enquête publique.
– Le 30 août, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil demande une enquête publique. On dénombre maintenant 151 victimes, dont neuf qui sont décédées.
– Le 19 septembre, la DRSP annonce que le Complexe Jacques-Cartier (320 St-Joseph-Est) serait probablement le principal responsable de l’éclosion. On ferme aussitôt les tours de ventilation.
– Le 10 octobre, la DRSP annonce la fin officielle de l’éclosion de légionellose à Québec.
– Le 22 octobre 2012, la DRSP demande un délai de quelques semaines pour compléter son rapport.
– Le 4 mars 2013, début de l’audience du coroner.
__
Références :
*1 CSQ, SIQ… : La Centrale des syndicats du Québec est propriétaire majoritaire (avec la Ville) du Complexe Jacques-Cartier, et c’est à elle qu’incombe l’entretien des lieux. La Société Immobilière du Québec gère quelques 35 édifices – Gare du Palais, édifice Marie-Guyart, etc.
– répartis sur le territoire de la ville de Québec.
*2 Place-Québec : En 1996-97, lors de la première épidémie de légionellose, quelque 13 personnes contractèrent la maladie et au moins une en mourut. La source de l’épidémie se trouvait dans l’une des tours de Place Québec, à la Haute-ville.
*3 Bouillon de culture : Jacques Murray est vice-président technologie chez Produits chimiques Magnus, une entreprise spécialisée dans les systèmes de refroidissement.
*4 Formulaires proprets : Fin juillet, des envois postaux sont faits auprès des 2,700 proprios de tours, et seulement 40 formulaires sont retournés.
*5 Rudel-Tessier : L’enquête de la coroner Catherine Rudel-Tessier – qui doit faire suite au rapport de la Santé publique – est prévue pour le début de l’année 2013.
*6 La tour de 16 étages est un projet de la CSQ.