Par Francois G Couillard
Nous sommes au cœur de la grève étudiante. Les manifestations s’enchainent les unes après les autres avec une vigueur sans cesse redoublée. La réponse policière est d’une intensité sans précédent. Malgré le caractère exceptionnellement calme des manifs, la Ville de Québec procède à des arrestations de masse.
Le 27 avril dernier, 81 manifestants et manifestantes sont arrêtés sur la Grande-Allée dont l’auteur de ces lignes. Avec des amendes salées. Six mois plus tard, le 26 octobre, l’heure de la riposte a sonné. La Ligue des droits et libertés vient de déposer une plainte à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse pour atteinte à la liberté d’expression. À Québec, il s’agit de la première plainte de ce genre en lien avec le conflit étudiant.
Les actions policières avaient un objectif politique très clair. Pour la présidente de la CSN dans Québec-Chaudière-Appalaches et porte-parole de la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, Ann Gingras : « La police ne doit pas devenir un instrument du gouvernement servant à casser un mouvement social ». Le chef de la police l’avait d’ailleurs admis : «Ils payent pour ce qu’ils ont fait. Mais, si ça peut servir à dissuader d’autres […] ». Pour justifier l’opération, il était allé jusqu’à dire que «des automobilistes se faisaient briser leurs voitures».
Il n’est pas dans les habitudes de la Ligue de parrainer une plainte. Cependant, elle a pris cette audacieuse décision à cause du caractère emblématique de la situation. L’étendue de l’injustice et de l’arbitraire policier est patente. On comptait, en effet, avec la présence de femmes avec poussette et enfants et même d’une non-voyante au sein de la manifestation. Les arrestations n’étaient pas justifiées.
Dans ce contexte, la Ligue s’est sentie poussée à l’action. Le syndicat CSN aussi, puisqu’il a pris la mesure exceptionnelle de fournir un avocat, Maître Enrico Théberge. La Ligue a également pris le soin méticuleux de bien informer les personnes arrêtées de leurs droits, lors de plusieurs rencontres. Toutes les options ont été mises sur la table : lancer un recours collectif, porter plainte sur la base des principes de déontologie policière. L’idée de la plainte à la Commission des droits de la personne a été adoptée, d’autant plus qu’il s’agit d’un recours gratuit. Après une enquête qui peut durer plusieurs années, la Ville pourrait être forcée de dédommager financièrement les victimes. Surtout, la décision pourrait avoir un impact important sur les futures actions policières ainsi que sur les autres plaintes.
Même si tous ces recours se soldaient par des échecs, les militants et les militantes ont déjà gagné. Oui! Nous avons été intimidés. Oui! Nous avons été humiliés. Oui! Nous avons subi de la discrimination à cause de nos idées politiques. Le processus aura été une formidable occasion d’éducation sur nos droits ainsi qu’une prise de conscience de l’inacceptable arbitraire policier. Tellement que des groupes sociaux exigent maintenant une enquête publique. Qui sait, peut-être que ça pourrait également amener de l’eau au moulin à la revendication d’obtenir un mécanisme d’enquête civile indépendant pour surveiller le travail policier? Sans oublier que nous avons obtenu l’abolition de la hausse des frais de scolarité. Les humiliés d’hier peuvent aujourd’hui relever la tête.