Dossier spécial par Pierre Mouterde, journal Droit de parole, édition d’avril 2013
L’affaire des poussières de nickel sur Limoilou a quelque chose d’exemplaire. Débusquée par une simple citoyenne Véronique Lalande et son conjoint Louis Duchesne, elle rend bien compte de ces graves fléaux pesant désormais sur les conditions de vie des citoyens et citoyennes des grandes agglomérations urbaines. Et surtout elle met en évidence le jeu trouble des élites et des puissants qui loin de se porter activement à la défense des conditions de vie des gens ordinaires, font tout pour en étouffer les dimensions les plus questionnables. À la manière d’une scandaleuse omerta. Droit de Parole a voulu s’y arrêter.
On ne le dira jamais assez: en termes de santé publique, l’affaire des poussières de nickel est non seulement préoccupante, mais est aussi scientifiquement parlant déjà bien « documentée ». On peut donc légitimement s’étonner des infinies précautions prises par les diverses autorités de la région de Québec pour en minimiser la gravité, et cela tant au niveau de l’existence des poussières de nickel, qu’au niveau de leurs effets sur la santé humaine.
Des données hors de tout doute
C’est ainsi qu’on sait hors de tout doute qu’au moins entre 2010 et 2012, la concentration moyenne de nickel a été de 4 à 5 fois supérieures à la norme québécoise en vigueur actuellement (12 nanogrammes par mètre cube) et … 55 fois supérieures à la moyenne des villes canadiennes. Selon les chiffres du Ministère de l’environnement, la concentration maximale de nickel aurait même atteint pendant cette période, le pic de 1670 nanogrammes/m3. Et selon les mesures et analyses effectuées par les citoyens de Limoilou, Véronique Lalande et Louis Duchesne, sur la base de données fournies par le Ministère de l’environnement, elle s’élèverait en moyenne annuelle, à 52 nanogrammes/m3.
Toutes ces évaluations nous montrent qu’il existe donc à Limoilou des concentrations moyennes de nickel très… très au-dessus des normes fixées. On sait par ailleurs que le Ministère de l’environnement disposait de données précises, montrant que ce phénomène peut être daté, puisque l’air de Limoilou ne contenait entre 1995 et 1999 que 10 nanogrammes de nickel par mètre cube. Et que ce n’est qu’à partir de 2000 que les concentrations commencent à s’élever, passant entre 2000 et 2004 à 20 nanogrammes/m3, puis entre 2005 et 2009 à 25 nanogrammes/m3. En rappelant cependant que ce sont juste les particules de 10 microns et moins qui ont été prises en compte dans ces dernières données, soit près de la moitié de toutes les particules en suspension.
Alerte à la santé
De telles concentrations ont-elles un effet sur la santé, et peut-on les mesurer ? Là encore, on dispose déjà d’informations qui donnent plus qu’à réfléchir.
Certes en matière de santé publique on ne mesure pas de la même façon la dangerosité d’une maladie infectieuse ou d’une épidémie à celle des maladies dites industrielles ou des pathologies environnementales causés par la présence de produits contaminants ou des poussières toxiques comme le nickel. Mais dans tous les cas, il y a urgence à agir, même si les effets des unes ne se feront pas sentir aussi rapidement que ceux des autres. Dans tous les cas ils peuvent être synonymes à termes de graves déficiences et de morts possibles. Et dans tous les cas, il faut s’attaquer à la source du problème. D’autant plus que des études scientifiques, un peu partout, ne manquent pas d’en cibler les principaux dangers.
Cancérigène
C’est ainsi que l’on sait que le nickel est un agent cancérigène ou potentiellement cancérigène et que, plus les poussières de nickel sont fines, plus elles peuvent se loger en profondeur dans les alvéoles des poumons, sources de troubles respiratoires ou de cancers pulmonaires. On sait encore qu’en plus d’être cancérogène, le nickel est un irritant pour la peau et les voies respiratoires (Cemple et Nikel 2006). On sait aussi que la présence de nickel dans l’environnement a des incidences sur les taux d’hospitalisation pour des troubles cardio-vasculaires et respiratoires (Bell et al. 2009; Zanobetti et al. 2009) ainsi que sur les taux de mortalité cardio-vasculaire (Lippmann et al. 2006). On sait même qu’il peut avoir des effets négatifs sur la réussite scolaire des enfants (Zahran et al. 2012). On sait enfin que tous ces effets ont été documentés à partir de concentrations beaucoup plus faibles que celles rapportées dans l’environnement de Limoilou. Il y a donc urgence en la demeure.
Il est vrai que la Direction de la santé publique n’a cessé d’en banaliser la portée. Par le biais de sa porte-parole, Justine Duchesne, elle a rappelé dès le 30 octobre 2012 qu’«il faut qu’il y ait une exposition à long terme pour qu’il y ait des dangers (…) Et encore, ce sont surtout les personnes éprouvant déjà des difficultés respiratoires qui pourraient voir leurs symptômes s’aggraver.»
Or plusieurs études récentes s’inscrivent en faux contre cette prétention de relier la dangerosité à la seule durée de l’exposition: elles montrent par exemple qu’on peut établir des corrélations très précises entre les taux de concentration quotidienne de nickel dans l’air et les admissions aux urgences et même les taux de mortalité quotidienne.
De toute façon, en ce qui concerne le cas de Limoilou, les concentrations de nickel –pour le moins 4 fois plus élevées que les normes autorisées—ont été présentes, selon les chiffres du Ministère de l’environnement lui-même, depuis plus… de 10 ans ? N’est-ce pas déjà passablement long ?
Pourtant on ne peut pas dire que ces données ont fait bouger les autorités de la région. Tout au contraire. Depuis le jour où Véronique Lalande a sonné l’alarme, on a plutôt assisté à un concours de prudences et de ronds de jambes. Et chacun de se renvoyer la balle, de nuancer, de s’évertuer à ne prendre aucun risque.
Ainsi le maire de Québec qui veut calmer le jeu et « rassurer la population », et qui en bon homme d’affaires rétif a priori aux préoccupations écologiques ou de santé publique, craint surtout que le débat ne nuise aux propriétaires du quartier : « On fait mal à la réputation du quartier Limoilou. S’ils pensent qu’ils font avancer les choses là, ils sauront juste ce soir que la valeur des propriétés a baissé dans Limoilou » (le 19 mars).
Et que dire du Ministre de l’environnement, Yves-François Blanchet, ministre dont on ne sait pas s’il faut mettre en cause dans son cas l’absence chronique de moyens de son Ministère ou son manque de volonté ? N’a-t-il pas déclaré : « On ne peut pas donner précisément un délai d’intervention parce qu’on ne sait pas combien de temps ça va prendre pour identifier la source » (le 24 mars). Il rajoutera le 28 mars : « il n’y a pas grand chose à dire (…) on ne donne pas des réponses incomplètes, incertaines, sur des enjeux de santé.» Et le 29 mars, il ira jusqu’à affirmer que son ministère ne disposerait pas de données avant 2010.
«Tu consultes pour avoir un bon traitement »
Quant au docteur François Desbiens, directeur de la santé publique, il ne fait guère mieux en affirmant le 28 mars : « il n’y a pas de risques nécessitant une intervention immédiate », ajoutant cependant (sic) : « Dès que tu as un symptôme, tu consultes ton médecin pour avoir un bon traitement ».
Et jusqu’à Agnés Maltais qui, tout en concédant la mise sur pied d’un comité de vigilance « où les citoyens pourront participer », rappelle par ailleurs comment Mario Girard, le directeur du port a été « le plus collaborateur », avant de conclure « qu’il n’y a pas à avoir d’inquiétudes à court terme » (le 28 mars).
Sans même parler de la puissante compagnie Arrimages Québec, maitresse d’oeuvre du transbordement du nickel dans le port de Québec et qui nous raconte sans rire dans un video de promotion publicitaire que son comité de l’environnement et du développement durable « s’assure que toutes les activités de la compagnie sont posées dans le respect des communautés locales et de l’environnement ».
On le voit c’est à une véritable conjuration des puissants à laquelle on a affaire, une conjuration dont on réalise vite comment elle s’organise à travers un réseau serré d’intérêts économiques dont le Port de Québec apparaît comme le coeur.
87 980 dollars, pour tenter de noyer le poisson ?
87 980 dollars, c’est la première tranche du prix – sans appel d’offres (firme Consulair Gaston Bélanger) – que la ville déboursera, pour vérifier si l’incinérateur pourrait être à la source de la contamination incriminée. Or toutes les données dont on dispose actuellement –dont entre autres la recherche menée récemment par Richard Saint-Louis, spécialiste en chimie environnementale de l’UQAR qui a prélevé des échantillons d’air dans cinq points du quartier Maizerets— mettent en évidence que l’incinérateur ne semble pas directement en cause quant à de telles concentrations de nickel. Elles mettent aussi en évidence que la source la plus probable se trouve être –tous les indices pointent en ce sens– dans la zone du port de Québec. Pourquoi alors finance une nouvelle étude sur l’incinérateur en gaspillant si inutilement les deniers publics ? Serait-ce pour tenter de noyer le poisson ? Poussières de nickel sur plusieurs secteurs de la ville En fait si dans cette affaire des poussières de nickel, on s’attarde tant au secteur de Limoilou, c’est uniquement parce qu’existaient déjà dans ce quartier des capteurs d’air gérés par le Ministère de l’environnement, et peut-être aussi parce que ce quartier était reconnu pour un certain nombre de ses indicateurs déjà préoccupants en termes de santé publique. Mais dans les faits, il est plus que probable que ce soit plusieurs autres quartiers de la ville qui puissent être touchés par le phénomène de la contamination au nickel. De premières recherches et analyses menées laisseraient supposer qu’il faudrait y ajouter Beauport, Saint Jean-Baptiste, le quartier historique, l’île d’Orléans et Lévis…. Ce n’est donc pas une mince affaire ! Quand donc en prendra-t-on la véritable mesure ? |
Le Port de Québec est une institution économique puissante dont le territoire est sous juridiction fédérale, échappant par conséquent à toutes les législations environnementales de la province. Il est dirigé par un conseil d’administration – le véritable patron du port –au sein duquel les représentants des principales minières et pétrolières opérant avec le port sont largement majoritaires (6 postes sur 9; les 3 autres étant occupés par des représentants des différents palliers de gouvernement).
Quant à son directeur, Mario Girard, il est bien connu du milieu des affaires de Québec. Il se trouve être l’ami personnel du maire Labeaume avec lequel il a fondé dans le passé La Fondation de l’entrepreneurship. Et depuis cette année, il est devenu le président du Festival d’été de Québec, une institution fleuron de la ville de Québec. La mairie dispose par ailleurs d’une représentante de la ville sur le conseil d’administration du port, Marie France Poulin.
Des liens étroits
Il y a donc des liens étroits entre ces deux administrations, et on serait en droit de se demander si ce n’est pas une des raisons qui fait que dans cette affaire de poussières de nickel, on se traîne tant les pieds. Surtout lorsque l’on sait qu’en arrière plan des activités du port de Québec et de l’une de ses compagnies phares, Arrimages Québec, se profile un modèle de développement fondé sur la croissance tout azimuth des secteurs miniers et pétroliers, secteurs tirés en avant par la demande grandissante des pays émergents.
C’est un secret pour personne que le Port de Québec se targue d’être le plus important terminal de nickel en Amérique du Nord. On sait aussi qu’il a connu des années record de tonnages manutentionnés et qu’il souhaite pousser l’expansion des activités en vrac, prévoyant même d’augmenter de 50 % ses activités dans le futur. Des activités qui ont connu un développement important, notamment suite au développement de la mine de nickel de Voicey Bay, au Labrador, qui achemine depuis 2003 (est-ce un hasard ?) sa production par bateau à Québec.
Il y a donc là de solides intérêts économiques, au regard desquels les préoccupations écologiques et sociales de milliers d’habitants d’une ville comme Québec font bien peu de poids. Fussent-elles mises de l’avant par des citoyens et citoyennes hors pairs !
Car c’est bien l’inquiétant: si Véronique Lalande et son conjoint ne s’étaient pas mobilisés. S’ils n’avaient pas mis au service de tous et toutes, leur expertise et leur art de la communication, s’ils n’avaient pas osé alerter les autorités et pointer du doigt –preuves scientifiques à l’appui—le port de Québec, on en aurait tout simplement rien su. Même si le Ministère de l’environnement disposait de données depuis au moins 1995 ! Même si la Direction de la santé publique a pour mission de protéger la santé du public ! Même si le gouvernement de Pauline Marois prétend défendre la souveraineté du Québec! Même si le maire devrait se porter d’abord à la défense des citoyens les plus exposés !
C’est ce sur quoi ne cesse d’insister Véronique Lalande : « il y a un bris de confiance entre la population et ses élus (…) À qui peut-on faire confiance maintenant ? (…)» Nous ne leur demandons pourtant que de faire leur travail : « que la santé publique fasse l’évaluation des risques en caractérisant les sources; que le port implante un système de gestion environnemental et diffuse un plan (…)»
Le plus pathétique dans tout cela c’est que, pour tous ceux et celles qui ne se cachent pas la tête dans le sable, la solution technique à la diminution des poussières de nickel serait dans un sens assez simple : il suffirait de modifier en profondeur la méthode de manutention utilisée par la compagnie Arrimages Québec qui continue à convoyer le nickel, à l’air libre, des bâteaux aux camions, puis des camions aux entrepôts et aux trains.
Encore faudrait-il pour cela que les pouvoirs publics osent lever la voix et rappeler au port et aux grandes compagnies qui y opèrent quels sont leurs devoirs en la matière.
En attendant, ne nous reste-t-il pas qu’à compter sur le pouvoir citoyen et tous les trésors d’ingéniosité, d’intelligence et de force dont il a su jusqu’à présent déjà si magnifiquement faire preuve ?
Rappelons que le port est de juridiction fédérale, mais que la santé publique est de la responsabilité de biens des gens.
Le ministre fédéral Denis Lebel mérite un commentaire particulier, vu que ses propres commentaires en réponse aux questions étaient assez particulières aussi.
En novembre 2012, le député fédéral de Beauport-Limoilou a demandé poliment au ministre fédéral Lebel s’il était au courant de la poussière rouge récurrente à Limoilou qui contiendrait, entre autres, du nickel. Le ministre conservateur lui a répondu que c’était des prétentions et des hypothèses et que le Port de Québec était un organisme indépendant en lequel il a confiance.
Il y a trois semaines, autour du 18 mars 2013, deux députés fédéraux de Québec ont à nouveau questionné le ministre, en dénonçant la manière dont il tourne en dérision les préoccupations de gens et en lui rappelant que le fédéral a une responsabilité envers les ports. Selon le ministre Lebel, il faut laisser le Port de Québec et la Ville gérer cela sans intervention fédérale. Donc le député de Beauport-Limoilou a ajouté que la mairie et la ministre québécoise pour la région demanderaient que le fédéral intervienne. Le ministre a répondu qu’on « fait peur aux gens » et « mélange les choses »..
La semaine du 25 mars, le député de Beauport-Limoilou est revenu à la charge sur la responsabilité du fédéral dont le ministère de l’Environnement possède des données sur le sujet. Le ministre a alors cité la Direction régionale de la santé publique pour dire qu’il n’y a aucun dangers et qu’il s’agit uniquement donc de peurs.
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Je vous ai bien compris M. Lebel, vous avez été très clair : vous êtes un bon allié indéfectible du Port de Québec et des entreprises concernées. Vous n’êtes pas, par contre, un allié indéfectible de la recherche de vérité et de la protection des gens.
Je ne dis pas que ces minéraux dans l’air soient un cataclysme, mais je ne vois pas du tout pourquoi on devrait tolérer qu’ils soient ainsi répandus dans l’air. C’est un étrange gaspillage, visiblement massif, et une pollution qui peut être évitée. Cette nuisance pour la santé doit cesser. Les entreprises concernées doivent trouver des solutions réelles pour transporter leurs minéraux sans les répandre aux quatre vents, point. Nous dire que ce n’est pas mortel n’est tout simplement pas une réponse lucide.
– Michaël Lessard, citoyen de Québec
Source : recherche sur Youtube, donc assez accessible.
Ps : Les médias parlent de Limoilou parce que la poussière rouge était bien visible, tenace et persistante, ce qui a poussé des citoyens et citoyennes à mener un véritable combat en brassant bien des fonctionnaires silencieux. Partout ailleurs, autour du port, ces minéraux voyagent certainement aux quatre vents. Cela ne concerne donc pas uniquement le secteur de Limoilou, mais bien plus largement.
ÉVÉNEMENT – Le point sur le nickel à Limoilou
Ce jeudi 18 avril, 5 à 7 (donc 17:00)
au Le bal du Lézard : 1049, 3e Avenue, à Quebec
Le journal Droit de parole vous invite à un 5 à 7 en compagnie de Véronique Lalande et Pierre Mouterde pour faire le point sur la question du nickel à Limoilou.
L’événement sur Facebook
https://www.facebook.com/events/591667530856995/
21 avril 2013
Amnistie royale
À l’instar de l’ex-lieutenante gouverneure du Québec Lise Thibault accusée de fraudes et d’abus de confiance demandant l’amnistie royale la direction du port de Québec invoque à son tour la protection de la reine dans le dossier controversé de la présence de nickel à Limoilou.
En effet le bras maritime du gouvernement fédéral, par l’entremise du Port de Québec, tente de se soustraire à la Loi québécoise sur la qualité de l’environnement en invoquant la Constitution canadienne.
En tant que bon citoyen corporatif le port de Québec doit se soumettre aux lois et règlements de la province où il se situe et fait des affaires. Où est le premier magistrat de la ville Régis Labeaume dans ce dossier lui qui accuse la centrale des syndicats de Québec (CEQ) de mauvais citoyen corporatif.
Pourquoi le maire ne lance t’il pas d’ultimatum aux dirigeants du port comme il l’a fait avec sa menace à l’association des marchés financiers (AMF) dans le contrat sur la construction du nouvel amphithéâtre.
Il est vrai que le maire ne veut pas trop en parler car cela nuit à l’image de la ville.