Par Renaud Pilote
Les jours semblent dorénavant comptés pour le centre d’achat. On y croise moins de monde qu’à l’euphorisante époque ayant suivi la chute du mur, alors que les joies du libre-marché étaient vécues dans un esprit de fête grégaire. Ne restent plus que des retraités tétant cafés-crème et muffins à la cafétéria, des jeunes filles textant au milieu de l’allée et des concierges blasés lavant des toilettes que plus personne ne souille.
Plusieurs théories tentent d’expliquer cette lente agonie, à commencer par les habitudes accrues d’achat en ligne, pour finir par la déprime inévitablement éprouvée lors d’un séjour prolongé dans un environnement sans lumière naturelle. Quant à moi, la disparition des photomatons est la principale raison pour laquelle je n’y vais plus. Si on ne peut pas aller grimacer entre copains le temps de quatre clichés flous et mal cadrés, je me demande bien où sont les avantages à se rendre au centre d’achat.
Seul le boxing day offre désormais aux adeptes du centre d’achat une dose de nostalgie. Cette cohue chaotique faisant les manchettes jusqu’en Chine redonne espoir aux gérants d’étagères qui constatent que l’engouement pour leur pacotille n’est pas prêt de s’essouffler : « deux morts à l’ouverture des portes ! C’est bon pour les affaires ! ». Mais le 7 janvier a tôt fait de s’imposer, dévoilant de nouveau le regard absent des mannequins en plastique pétrifiés d’ennui. En moins de temps qu’il ne le faut pour dire « 50 % », il n’y a plus personne à l’horizon sur cette mer de liquidations (la pognez-vous ?). Les commerces se surprennent même à envier le petit kiosque de Loto-Québec qui lui, récession ou non, roule à plein régime aux abords de la susnommée cafétéria. Et une pétition circule vers la mi-février pour que la musique de Noël™ y soit jouée à l’année…
Ainsi va la « vie » à l’intérieur de l’enceinte en briques beiges. Que resterat- il de ce vestige du XXème siècle dans quinze, vingt ans ? L’aura-t-on démoli, l’aura-t-on fait sauter ? Où mèneront ses manèges, ses escaliers roulants ? Qu’adviendra-t-il des sous noirs dans ses fontaines, qu’adviendra-t-il de tous ces voeux ? Je ne suis pas devin, je ne peux vous le dire, mais j’anticipe le pire, car qui se soucie des sous noirs aujourd’hui ? Tenez, comme je me rendrai certainement encore une fois au centre d’achat (pour une raison qui saura m’étonner, j’en suis sûr), j’irai à la fontaine et j’y jetterai mon sou : « Ô petit ange qui pisse, fait en sorte que tout ce beau monde qui glande en ce moment dans le centre d’achat, que tous ces gens inoffensifs puissent trouver un autre endroit où aller lorsque cette kermesse absurde sera terminée, un endroit plat, avec de la musique, une chaufferette et où il pourront être tous ensemble. Enfin, un endroit où ils pourront se sentir un petit peu comme s’ils étaient au centre d’achat. » Tel sera mon souhait.