Décidément, la pensée unique n’est pas une vaine formule. La campagne électorale municipale qui se mène à Québec est en train de nous en administrer la preuve de façon éclatante ! Tant à la télé que dans les grands médias écrits, on a l’impression qu’il n’y en a que pour Labeaume, et que tout le reste ne compte pas ou presque.
À tel point que la partie paraît jouée d’avance et que les médias n’ont plus qu’à se contenter de renforcer servilement la tendance déjà à l’oeuvre. Ils oublient du coup que leur tâche première devrait être celle de nous aider à réfléchir à ce qui est en train de se jouer politiquement. N’est-ce pas qu’à ce prix qu’on pourra parler de ces élections municipales comme d’un véritable exercice démocratique.
Et là je ne parle pas du Journal de Québec ou de quelques radios sensationnalistes qui en général ne s’embarrassent pas de grandes nuances. Je parle de journalistes aguerris comme Jean-Simon Gagné du quotidien Le Soleil (voir son article du 30 octobre), ou du fin chroniqueur culturel David Desjardins du Devoir (voir sa chronique dans Le Devoir du 30), ou encore du reportage diffusé au Télé-journal de Radio Canada le 29 octobre. Dans ces 3 cas on a affaire à des gens qui prétendent à la rigueur et à l’originalité, et qui, de façon générale, cherchent à faire du bon journalisme.
Mais là, c’est à se demander si, pour l’occasion, ils n’auraient pas perdu tout esprit critique.
Que Radio Canada, à une heure de grande écoute, décide de faire le point sur la campagne électorale municipale ayant cours à Québec, après tout pourquoi pas ? Mais que la chaîne d’État publie un reportage — sans aucune mise en perspective critique — se contentant de reprendre sur le mode bienveillant les poncifs le plus éculés sur le maire Labeaume, c’est vite transformer des moments de grande écoute en un vulgaire publi-reportage. Un gigantesque espace publicitaire offert à quelques jours des élections à un maire. Toutes les affirmations sensationnalistes de Labeaume (sur les syndicats, sur l’utilisation de la voiture individuelle, sur la densité urbaine, etc.) mériteraient plus que quelques bémols posés pour la forme, mais de solides et vigilantes mises en perspectives.
Et après il y en aura qui s’étonneront — ébahis !? — que les cotes de popularité du maire se maintiennent au plus haut !
Remarquez, Jean-Simon Gagné du Soleil ne fait guère mieux, lui qui pourtant n’a pas, en général, la langue dans sa poche et qui, en général, sait faire sortir le chat du sac. Sans doute a-t-il opté pour Don Quichotte afin d’évoquer dans son texte la figure du principal opposant à Régis Labeaume, David Lemelin. Et pour y aller d’une manière originale, il cherche à nous faire imaginer le journal personnel que ce dernier pourrait être en train d’écrire pendant sa campagne. Mais le ton est si cynique et désabusé, si négatif envers tout ce qu’a pu représenter David Lemelin depuis qu’il s’est lancé dans la course à la mairie, que sa chronique finit par être « dans les faits » un appel à reconduire Labeaume puisqu’il n’y a rien à tenter contre lui, tant il est ce «Goliath» qui à Québec «gagne» toujours. Et pas la moindre petite raison à offrir à tous ces lecteurs et lectrices qui ne partageraient pas les «coups de gueule» à l’emporte-pièce du sieur Labeaume !
On aurait pu s’attendre à autre chose de David Desjardins qui tient régulièrement chronique dans Le Devoir. Mais là, sa sensibilité personnelle ne peut remplacer un sens politique qui lui manque ici pathétiquement! Car à vouloir se placer, mine de rien, au-dessus de la mêlée et renvoyer dos à dos Jean Gagnon, président du syndicat des cols blancs, et Régis Labeaume, tout en insinuant que les critiques du premier sont «nettement exagérées » et que le maire sortant a, dans cette affaire, « une position courageuse », il ne fait que renforcer un formidable préjugé qui est propagé à tout vent par la puissante droite néolibérale : s’il y a déficit à la ville ce serait à cause des syndicats et du « pouvoir invisible» qu’ils représentent.
Plus grossier raccourci que ça, tu meurs… et ce n’est nullement à l’honneur d’un chroniqueur de tomber dans un tel panneau, lui qui, à la différence de bien des journalistes, a ce formidable privilège de disposer d’un espace dans lequel il peut s’exprimer relativement librement !
Comme quoi, ce n’est pas parce qu’on a la chance de parler depuis la tribune de Radio-Canada, ou encore qu’on a une bonne plume ou une manière originale de présenter ses propos, qu’on ne participe pas pour autant à son insu à la pensée d’aujourd’hui.
Pour y échapper, il faut plus que cela : il faut le courage de dire et prendre parti, le courage d’aller à contre-courant, le courage d’inlassablement faire preuve de ce qui est essentiel à une société qui aspire à la démocratie : le sens critique. Et à Québec à la veille du scrutin municipal, c’est ce qui semble le plus nous manquer!