Nouvelles lumières sur l'éducation

Publié le 13 décembre 2013

TURBULENCES

Normand Baillargeon est connu auprès du grand public pour son Petit guide d’autodéfense intellectuelle et ses chroniques au journal Voir. Au quotidien, il est professeur à l’UQAM et enseigne la philosophie de l’éducation. Son dernier ouvrage, Turbulences, en montre l’utilité et la pertinence.

Par Benoît Gagné

Turbulences est un recueil de onze articles publiés dans différentes revues et regroupés en six chapitres. Les thèmes mis de l’avant s’inscrivent dans l’actualité de l’éducation, tout en ayant une incidence sur son orientation à plus long terme. L’enjeu est de taille quand on sait l’importance de l’éducation pour une participation éclairée à une vie sociale digne de ce nom. Le thème de la transmission culturelle fait l’objet du premier chapitre. Quels sont les contenus à transmettre durant la scolarité obligatoire ? De quel bagage commun l’école doit-elle favoriser l’appropriation par les élèves ? Ce qui est visé ici est le curriculum… le « programme » comme on dit parfois. En lien avec le contenu et l’organisation d’un tel curriculum, un concept emprunté au philosophe Paul Hirst est introduit, celui de « formes de savoir ». Il se présente comme une façon alternative d’envisager ce qu’on désigne habituellement par « savoirs disciplinaires ».

Enseigner la philosophie aux jeunes

Le deuxième chapitre traite de cette forme particulière de savoir qu’est la philosophie, ainsi que de son inclusion dans le curriculum commun (primaire et secondaire). Un des bienfaits de cette inclusion, selon Normand Baillargeon, serait de mettre les élèves en contact avec des questions et des problèmes importants et débattus depuis longtemps. Ce faisant, les élèves seraient initiés à une riche tradition de réflexion. Ils pourraient aussi constater que des interprétations différentes existent et peuvent être discutées. La question qui se pose toutefois est celle-ci : les jeunes élèves (présecondaire) ont-ils la maturité intellectuelle nécessaire pour profiter d’un tel enseignement forcément un peu abstrait ? Ce point n’est pas clairement établi par la recherche.

Avec le « mystérianisme », objet du troisième chapitre, j’ai appris une nouvelle appellation. Mystère, dites-vous ? Vous n’êtes pas loin car on touche ici au problème des limites, tenues pour réelles et insurmontables, de ce qui est humainement connaissable, peu importe les volontés et les énergies investies, et donc au corrélat d’une incontournable part de mystère. Si cet argument est philosophiquement valide — et il y a de bonnes raisons de le penser –, faut-il alors en traiter en milieu scolaire ? Cela revient à en soupeser les avantages et les obstacles. Le niveau d’études considéré ici est celui du collégial.

Les deux chapitres suivants portent respectivement sur la recherche universitaire en éducation et sur certaines transformations récentes au sein des universités. Dans le premier cas, Normand Baillargeon pointe du doigt la «funeste alliance» qui aurait lieu, selon lui, entre des professeurs qui produisent la recherche et des fonctionnaires du Ministère qui la consomment. Une telle alliance ne serait pas étrangère au « renouveau pédagogique » qui s’est mis en place à partir du début des années 2 000. Dans le second cas, il est question de tendances qui se font de plus en plus présentes dans le milieu universitaire (vision entrepreneuriale de la gestion, privatisation du financement de la recherche) et qui auront des répercussions sur ce que sera éventuellement l’université de demain : délocalisée, sans frontières, organisée en réseaux et dispensant essentiellement des cours en ligne.

Déclin probable du constructivisme

Le dernier chapitre revient sur le « renouveau pédagogique » et prend le relais d’un diagnostic sévère posé par l’auteur. Adoptant la prémisse d’un mal quasi incurable, il s’agit cette fois de « tirer les leçons » de cette vaste entreprise de transformation de l’éducation. Ces leçons à tirer de la réforme sont présentées comme étant d’ordre scientifique (fiabilité des travaux de recherche en éducation), politique (imputabilité des réformateurs), idéologique (usage de jargon et de slogans) et professionnel (formation à l’enseignement). Une telle rhétorique en forme de post-mortem se défend en regard des nombreuses critiques d’enseignants qui la vivent et d’intellectuels qui l’observent. Pour habile qu’elle soit, elle ne peut cependant effacer le fait que le constructivisme est présentement le paradigme dominant en éducation.

Sur un temps plus long, toutefois, je ne serais pas trop surpris de son déclin. En vertu du leitmotiv de « mettre l’élève au centre de son apprentissage », on le laissera sans doute explorer par lui-même, à divers moments, en balisant le parcours avec quelques concepts préétablis. Néanmoins, devant l’énormité et la complexité croissante du corpus des connaissances, je vois mal comment il sera possible d’éviter une introduction directe au savoir achevé (ce qu’implique l’antique idée de transmission). Issu de la marge du paysage de l’éducation, il y a quelque vingtcinq ans, le constructivisme y retournera vraisemblablement. Mais le ciel sera-t-il plus dégagé pour autant ?

Normand Baillargeon Turbulences Essais de philosophie de l’éducation Presses de l’Université Laval, 2013 136 pages

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