Par Gilles Simard
Parue récemment mais pratiquement ignorée des médias traditionnels, Terreur en Acadie, la dernière oeuvre de Bertrand Dugas, un infographiste de la basse-ville, est l’une des belles trouvailles de l’année en matière de BD pour adultes. D’autant qu’il s’agit d’une oeuvre d’inspiration collective mais néanmoins très personnelle parce que fort bellement dessinée, scénarisée et coloriée par un auteur qui avoue provenir à 90 % de l’école de bd franco-belge, le reste étant l’influence des Comic Book américains.
Brian Toffu, le « héros », un infidèle de Lamèque (en Acadie) à la fois courageux, naïf et bonne pâte et son ennemi juré, Omar (qui prend ici des allures du bon vieux Iznogoud) sont des personnages très attachants que l’on prend plaisir à voir évoluer à partir des déserts du Gagastan jusqu’aux paysages côtiers de l’Acadie, avec en arrière-plan une brochette de bons et de vilains très typés qui nous font coller à un scénario écolo-politico-social aussi rocambolesque que déjanté.
Rencontré en entrevue, Bertrand Dugas, un quadragénaire natif de Montréal qui a des origines acadiennes et a vécu épisodiquement à Caraquet, raconte : « La BD est le résultat d’un remue-méninge avec au moins quatorze personnes de la péninsule acadienne (de Caraquet à Tracadie- Sheila) à partir d’un concept que j’ai moi-même initié. Ce qui a donné, poursuit ce boursier de la Direction des Arts du Nouveau-Brunswick, un délire créatif sur les idéologies politiques et économiques qui permettent de tuer, terroriser et piller les moeurs et les mers, avec en trame de fond le silence politiquement correct des élus (ouf!)… »
Bertrand Dugas, décrit Brian Toffu comme un personnage écolo qui vit modestement et qui est pétri des valeurs de gauche. Et de préciser : « En fait, c’est une sorte de Tintin débauché qui vit pauvrement, comme moi, et qui aime bien se retrouver au bord de la mer. C’est un genre de Gaspésien ou d’Acadien avec une ouverture sur la ville. » Quant à se faire taxer d’islamophobe et autres qualificatifs du genre — même si on n’est pas ici dans le contexte des caricatures de Charlie Hebdo — le bédéiste s’insurge : « T’sais, moi, la political correctness… Et puis, avec mon personnage du capitaine Art Peur, je m’en prends bien plus aux évangélistes chrétiens de ce monde. »
Dans la foulée, ce nouveau résidant de l’immeuble Sherpa1, à Québec, nous confie qu’il aura mis plus d’un an à peaufiner (à temps partiel) la dernière aventure de Brian Toffu2. « Le plus difficile, d’expliquer le bédéiste, c’est de garder le focus quand on est obligé de voir à tout. Il m’a fallu scénariser, dessiner, colorier, numériser plus de quatre cents vingt cases une par une et aussi faire les suivis avec l’imprimeur et l’éditeur (La Grande Marée)… Tout ça, en plus de mon travail d’infographiste et malgré des problèmes personnels et un incendie ayant détruit des fichiers. C’était énorme, c’était gigantesque comme défi », de soupirer l’homme.
Dugas se veut très reconnaissant envers les autorités de PECH… « Le fait d’avoir eu droit à un logement subventionné dans l’immeuble Sherpa, donc de payer moins cher qu’avant, m’a permis de travailler à tête reposée et de finir la job. Effectivement, je leur dois un gros merci, » de lancer l’auteur.
Autrement, Bertrand, qui avoue être allergique aux mangas, insiste pour dire qu’il est tout aussi allergique aux journalistes qui critiquent sans trop connaître le sujet : « Il y a des experts autoproclamés qui, pour masquer leur incompétence, usent de propos déplacés comme d’un écran de fumée. » (!)
De même, en pensant aux jeunes qui seraient tentés de suivre ses traces, Bertrand Dugas les prévient qu’il est très difficile de vivre de la bande dessinée. « Il faut être réaliste, c’est bien d’y penser, mais c’est très difficile d’en faire une carrière. Il faut vraiment faire autre chose en même temps. »
Parlant jeunesse toujours, l’auteur, en plus de prévoir un troisième album des aventures de Toffu, dit travailler à un concept un peu plus commercial pour les ados, voire un public de tous âges. « Mon personnage principal s’appelle Dépresso Bill et c’est un enfant glauque, un peu cynique et déprimant sur les bords. Un genre de Mafalda d’une autre dimension qui fait des constats et des analyses sur le quotidien des gens. »
Enfin, pour ce qui est de donner un conseil aux bédéistes en herbe, Bertrand Dugas leur dit ce qui suit : « Ayez un scénario original et commencez, petitement si vous voulez, mais commencez! » Et l’homme d’ajouter : « Ne sombrez pas dans la complaisance, soyez votre pire ennemi ! »