Par Aurélie Plaisance
Le 11 février dernier, Maude Poissant lançait à la Korrigane un premier recueil de nouvelles brillamment conçu, Saccades. La résidante passionnée et curieuse du quartier Saint-Sauveur, chroniqueuse dans le journal web mon saint-sauveur.com, s’avère une véritable artiste de la nouvelle. C’est un genre dont elle connaît bien les rouages : son style, clair et précis, est dépourvu de toute fioriture, une intrigue simple avance progressivement vers son dénouement fatal, enrobée d’un mystère et d’un suspense qui tiennent le lecteur captif jusqu’à la fin – impossible de ne pas se rendre au bout de la nouvelle en un seul souffle – puis, il y a la chute, immanquablement percutante, qui vient achever l’œuvre et assouvir le lecteur gourmand.
Onze nouvelles sont réunies dans Saccades, dont certaines se situent à Québec, alors que d’autres nous font voyager, comme « Luc-sur-mer », qui se situe dans un village maritime français. Par ailleurs, si la plupart des textes sont écrits dans une langue littéraire simple, d’autres présentent un style d’écriture particulier, comme « Ménage à trois », qui est écrit dans le français parlé de la narratrice. Les textes explorent également des ambiances ou des univers différents – on est tantôt dans le pur quotidien trivial, tantôt dans le macabre ou le merveilleux. De plus, l’écrivaine se plaît à adopter différents points de vue : on peut y lire des nouvelles écrites à la première personne et à la troisième, mais aussi à la deuxième, comme c’est le cas dans « Fragments de désir amoureux ». Mais cette diversité des textes est contrebalancée par une unité forte, volontaire et affirmée. Dans «Le sacrifice », par exemple, nous faisons la connaissance d’un chef cuisinier dont le rêve de présenter un festin à ses convives se transforme en cauchemar aussi macabre que la pièce montée qu’il finit par créer. Dans « Chez les loups », le plan d’évasion de deux enfants maltraités vivant dans une forêt reculée ne tourne pas comme prévu; ou encore, dans « Vertige », un homme qui rêvait depuis l’enfance d’embrasser la carrière religieuse est frustré dans ses élans par la drôle d’attitude du père Aurèle. D’autres nouvelles s’attachent à la description ci-haut présentée de manière plus libre. C’est le cas de « La Saline », qui propose l’histoire d’une tradition familiale séculaire, soit la transmission par héritage d’un parapluie neuf à la descendance, interrompue par la négligence d’un père alcoolique.
Pour finir, un extrait de la dernière nouvelle, intitulée « Sous la chair », dans laquelle la narratrice essaie de sauver un oiseau agonisant en lui recousant le ventre, illustre bien l’enjeu du recueil et consolide ainsi l’unité du livre. En effet, alors que la narratrice tente de fixer le soleil du regard, nous pouvons y lire une sorte de métaphore de l’oeuvre : « […] le soleil paraissait blanc tellement il luisait, j’observais cette blancheur impeccable et quasi angélique, ça me faisait mal aux yeux, mais il me semblait que rien n’était aussi beau ni aussi vrai que cette pureté qui tombait sur le monde et ralentissait, l’espace de quelques secondes, les saccades de mes pensées, je savais que je ne pouvais rester longtemps ainsi, les yeux vers le soleil, déjà de petits points noirs obscurcissaient ma vision ». Tout comme cette narratrice éblouie par le soleil, les personnages de Saccades sont aveuglés par leur rêve ou leur projet et finissent par voir « de petits points noirs » apparaître sur leur parcours. Leur espoir les aura trompés, et c’est d’ailleurs ce qu’exprime la phrase de Romain Gary qui figure en exergue de l’ensemble du recueil : « Il y a toujours cette vieille expression « on vit d’espoir », mais je commence à croire que c’est surtout l’espoir qui vit de nous ».