Par Sandrine Louchart (Les AmiEs de la Terre de Québec)
Présentement se déroule le Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) sur les enjeux liés à l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste dans le shale d’Utica des basses terres du Saint-Laurent. Les AmiEs de la Terre de Québec y participent, et tiennent à souligner que plusieurs incohérences ont cours dans ce dossier.
Tout d’abord, au niveau législatif, aucun cadre juridique spécifique à cette filière énergétique n’est en place. Il s’agit d’un encadrement minimal qui s’applique et qui tend à « s’adapter » à l’industrie. L’exploration des gaz de schiste dépend de lois minières et environnementales qui offrent un piètre encadrement, et malgré une récente réforme de la Loi sur les Mines, on est bien loin des standards environnementaux les plus rigoureux qui soient.
L’application de la Loi sur les mines est totalement inadéquate pour les hydrocarbures non conventionnels. Le gouvernement du Québec a adopté la Loi sur le développement durable qui reconnaît spécifiquement le principe de précaution et le principe de subsidiarité, pourtant ces principes sont absents de l’encadrement législatif des gaz de schiste. Aussi, la Loi sur les mines n’a pas été mise à jour pour intégrer les nouveaux principes juridiques introduits par la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection.
En fait sur la question des hydrocarbures non conventionnels, le Québec vise à gérer les risques plutôt que d’appliquer véritablement le principe de précaution. La gestion de risque tend à subordonner le bien commun à l’économie, alors que le principe de précaution consiste, en cas de doute, d’absence de certitude ou de consensus scientifique, à s’abstenir, malgré des avantages économiques. Dans une vision de développement viable qui reconnaît explicitement le principe de précaution comme étant primordial dans la protection de l’environnement, à quand l’application véritable de ce principe ?
Il y a pour nous une profonde incohérence et une confusion dans le rôle que joue la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) dans le dossier des gaz de schiste. Comment un organisme voué à la protection du territoire agricole et de ses activités peut-il pleinement exercer sa mission lorsqu’il délivre en même temps les autorisations relatives au gaz de schiste ?
La toute récente évaluation environnementale stratégique (ÉES) sur le gaz de schiste nous apprend que la CPTAQ « fait rarement une distinction entre le gaz de schiste et le gaz naturel conventionnel ». De plus, « très peu de commissaires de la CPTAQ semblent disposer d’une expérience et d’une formation professionnelle adaptées aux mandats liés au gaz de schiste ». Le rapport nous indique aussi qu’entre 2002 et 2013, neuf compagnies ont déposé un total de 58 demandes de forage de puits ou de maintien de puits auprès de la CPTAQ, qui en a autorisé 57.
Les retombées économiques prometteuses si souvent mises de l’avant par l’industrie ne sont pas au rendezvous. C’est ce que démontre l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) qui a produit le 9 janvier 2014 un document intitulé « Gaz de schiste : d’autres alternatives de développement économique peuvent être envisagées ». En voici un extrait : « Concernant l’apport d’emplois, si l’on se fie à l’expérience des États-Unis, la réalité de l’industrie du gaz de schiste est beaucoup plus décevante que celle prétendue par les industries.
En effet, un rapport publié récemment par le Multi-State Shale Research Collaborative (regroupement d’organisations indépendantes de recherche comprenant un comité d’experts universitaires) montre que dans les bassins de Marcellus et Utica (nord des États-Unis), qui contiendraient l’une des plus importantes quantités de gaz de schiste au monde, seulement 3,7 emplois par puits ont été créés en moyenne entre 2005 et 2012, soit presque dix fois moins que prédit par les études financées par l’industrie. Quant aux revenus économiques, ils ont aussi été largement exagérés par les rapports publiés. […] Il semble que le développement des énergies renouvelables générerait plus d’emplois que l’industrie des énergies fossiles, selon un rapport publié en 2009 par l’Institut de recherche en économie politique de l’Université du Massachusetts à Amherst. »
Des pays comme la France et la Suisse ont dit « NON aux gaz de schiste », car ils estiment que cette méthode comporte des risques trop élevés pour l’homme et pour l’environnement. Au Québec, ce qu’il nous manque présentement c’est une vision soutenable à long terme de notre développement économique, mais aussi et surtout une perception globale de l’ensemble de nos impacts environnementaux cumulés.