Par Nicolas Phébus
Les combattantes kurdes des Unités de protection des femmes (YPJ) ont fait irruption dans notre imaginaire, et à la Une de La Presse, le 30 septembre dernier. Ces femmes courageuses défendent farouchement, au moment d’écrire ces lignes, la ville de Kobanê, symbole fort d’une profonde révolution démocratique, contre les assauts des djihadistes fanatiques du groupe État Islamique (EI).
Kobanê, parions que personne ou presque n’en avait jamais entendu parler, est une petite ville kurde de 45 000 âmes du nord de la Syrie située tout près de la frontière turque. C’est la capitale régionale du Kurdistan syrien, la région de Rojava, qui compte trois cantons. Jusqu’au mois de juillet 2012, les Kurdes de Syrie vivaient une oppression nationale brutale. L’enseignement de leur langue était interdit, les enfants se faisaient battre s’ils la parlaient à l’école, leur région de peuplement traditionnel était soumise à une politique d’arabisation (colonisation) et leur économie essentiellement confinée à l’agriculture. Tout cela a basculé avec l’effondrement du régime syrien et la guerre civile.
Le Parti de l’union démocratique (PYD), un parti kurde syrien, a profité de la guerre civile pour remplir le vide politique, déclarer le Rojava « région démocratique autonome » et lancer une expérience démocratique avancée basée sur l’égalité homme-femme, la laïcité, l’égalité des langues et des nations, le respect des droits sociaux, économiques et culturels de tous et de toutes, un développement économique respectant l’environnement et la socialisation de toutes les terres, édifices et ressources naturelles. Une milice d’autodéfense, les Unités de protections du peuple (YPG) a été formée pour protéger le Rojava; les YPG sont mixtes, les unités féminines (YPJ), qui ont leurs propres baraquements et commandement, forment environ le tiers des troupes. Face aux autres forces armées en présence, notamment celles de l’ancien régime, les YPG kurdes appliquent une politique de « ni guerre, ni paix ». Ainsi, les YPG n’interviennent que si le Rojava est attaqué et elles n’interviennent pas en dehors du Kurdistan, par exemple elles sont allées prêter main forte aux peshmergas du Kurdistan irakien l’été dernier.
Depuis juillet 2014, les djihadistes de l’EI essaient de conquérir le Rojava ce qui leur permettrait de contrôler une large portion de la frontière avec la Turquie. L’EI veut instaurer un Califat couvrant au minimum de larges portions de l’Irak, de la Syrie, de la Turquie et du Liban. Son projet social et politique est une théocratie patriarcale, intégriste et moyenâgeuse. Le groupe est accusé de crimes contre l’humanité, notamment contre une minorité religieuse kurde, les Yésidis. On ne peut imaginer deux adversaires plus irréconciliables.
Depuis le 16 septembre, donc, Kobanê est assiégée par l’EI. Pour la communauté internationale, l’affaire est entendue, la ville est condamnée et va tomber très rapidement. Pourtant, la résistance kurde est acharnée; au moment d’écrire ces lignes, la milice kurde repousse les assauts djihadistes depuis un mois. Les YPG demandent des armes anti-char et l’ouverture de la frontière pour recevoir des renforts de ses alliés du Kurdistan turc. L’ennui c’est que le PYD est affilié au PKK, un parti qualifié de terroriste par la communauté internationale à cause de sa lutte de 30 ans en Turquie. Or, sans armes pour la résistance kurde, c’est l’espoir de la « région autonome démocratique » de Rojava qui risque de mourir.