Un film de filles qui chassent

Publié le 19 novembre 2014
Photo de tournage du documentaire Un film de chasse de filles. PHOTO JUDITH DUBEAU
Photo de tournage du documentaire Un film de chasse de filles. PHOTO JUDITH DUBEAU

Par Michaël Lachance

Premier long métrage de la cinéaste de Québec Julie Lambert, « Un film de chasse de filles », ne sera pas à l’affiche dans un cinéma près de chez vous. Peut-être, avez-vous eu la chance de voir la première du film au Palais Montcalm, dans le cadre du Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ) ?

Le long métrage a joui d’une courte programmation de cinq jours en ligne sur le site Tou.tv de Radio-Canada, à la demande de Téléfilm Canada, dont la cinéaste a reçu une subvention du nouveau programme pour les films à micro-budget. Téléfilm Canada exigeait une diffusion numérique trois mois après le parachèvement de la copie zéro, c’est-à-dire très tôt dans le processus de distribution et de diffusion du film. Pour les internautes curieux, le visionnement a été possible uniquement sur achat. C’est donc dire que le film de Julie Lambert a été présenté en ligne pour satisfaire les nouvelles contraintes du subventionnaire, plus que pour engranger des bénéfices et/ou des lectures.

Tout cela a eu pour effet de faire déchanter les exploitants de salles au Québec qui, dans un élan de solidarité courageux, ont tous retiré le film de leurs programmations respectives. Le cinéma québécois a bien besoin de ça ces tempsci, surtout en cette ère du numérique, du piratage et autres « streaming », où le paradigme de diffusion a bien changé depuis le documentaire de 1925 « Dans le bois », de Mgr Albert Tessier. Retour sur un film primé trois fois au FCVQ et dont le visionnement sera possible, grâce aux efforts de la productrice et de son équipe, pour contrecarrer une mesure stupide qui prive les cinéphiles d’un bon film « made in Québec City ». Le film de Julie Lambert reprend un peu là où Pierre Perreault a laissé avec son magnifique documentaire sur la chasse « La bête lumineuse ». Campé dans un univers rural où la chasse fait partie des moeurs depuis l’invention du pédalo, le film de la cinéaste de Québec met en scène des filles pour qui la chasse est un sport sérieux.

Le cadre central du film ethno-sociologique repose sur cet aspect méconnu au Québec : la chasse au féminin. Cela se passe entre des femmes et leurs filles. Le film, sans aucune forme de maquillage, opte pour l’observation directe, le témoignage brut, sans mise en scène. Bref, c’est dans le pur esprit et le respect du cinéma direct : ses codes, ses sentiers, sa forme. Si Pierre Perreault a défriché le terrain pour les nouvelles générations de documentaristes, Julie Lambert ne marche pas nécessairement dans les mêmes traces. Car elle a du flair cette cinéaste !

Certes, le sujet est marginal — admettons que cette pratique de la chasse chez les femmes au Québec n’est pas courante —, mais il permet de jeter un regard nouveau sur la psychologie féminine que Freud n’a heureusement pas abordé. Pour cela, c’est déjà tout un défi, lorsque l’on sait toute l’outrecuidance du psychanalyste touche-à-tout en matière de psyché et de sexualité… Ce genre d’exercice, lié à l’étude des filles qui chassent, impose ses limites, surtout en ce qui a trait à la neutralité du sujet, ce qui n’empêchera pas la cinéaste de passer de l’autre côté de la caméra pour pratiquer elle-même la chasse. Comment faire autrement qu’habiter le sujet par transfiguration afin de tendre le plus possible vers l’objectivité. Du reste, en vivant les émotions qui envahissent tout chasseur, homme ou femme, la cinéaste fait vivre, par l’expérience, tout ce qu’implique sur le plan psychologique et physique (Buck Fever) la mise à mort d’un animal. Le stress, la fébrilité, la joie, la peine, la culpabilité, le doute et tutti quanti sont illustrés à merveille par la cinéaste.

Cela a pour effet de donner vie au sujet de manière sensible. Les personnages sont attachants, affectueux, humains, méticuleux, adroits, drôles, bref, on découvre un monde méconnu, ne serait-ce que par les méthodes utilisées par les filles pour chasser. On est loin de la brute éthylique qui rugit devant un cervidé, de l’écume au bord des lèvres. On s’attache aux personnages comme aux animaux, on aime les plans de coupe sur la forêt, les montagnes, les magnifiques paysages du Québec tout en songeant à toute cette viande que l’on consomme, sans trop savoir d’où elle provient.

Peut-être devrions-nous suivre les pas de ces courageuses femmes et tordre le cou de quelques poulets, ne serait-ce que pour prendre conscience de la vie qui habite chaque animal ? Car, si pour Descartes l’animal est une machine, pour Julie Lambert, ce sont des créatures vivantes que l’on doit respecter et chasser de façon responsable et sécuritaire, chose dont les filles s’acquittent avec zèle et méthode. Un discours sur la méthode à ne pas manquer, en salle ou sur DVD.

Le 29 novembre à l’espace Félix-Leclerc, 682 Chemin Royal, Saint-Pierre-de-l’Île-d’Orléans, 19 h 30.

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