Par Gilles Simard
La population du Québec s’apprête à subir les contrecoups d’une très hasardeuse et très périlleuse réforme de la santé et des services sociaux.
Cette réforme faite d’austérité budgétaire n’est pas sans rappeler le virage ambulatoire sur fond de déficit zéro de Lucien Bouchard dans les années 90, avec la mise à la retraite forcée de milliers d’infirmières et de médecins, une catastrophe majeure, dont on aurait espéré qu’elle serve encore de leçon à tous les cowboys de l’arène politique québécoise.
Ici, loin de moi l’idée d’en rajouter au cynisme et à l’alarmisme ambiant, mais force est de reconnaître qu’en s’obstinant à vouloir virer le paquebot de la santé et des services sociaux sur une pièce de dix sous, l’inénarrable Gaétan Barrette pourrait bien mener le plus gros des vaisseaux québécois à un naufrage titanesque. Et, le plus incongru dans l’affaire, c’est qu’on prend ce fabuleux risque en raison d’une « possible » économie de 240M $, un montant vraiment dérisoire qui ne fait même pas le quart des augmentations de salaires consenties aux médecins sur deux ans. Bonjour les priorités !
Cela dit, la loi 10, outre un gigantesque brassage de structures et un inutile court-circuitage des réseaux locaux, élimine des anciens conseils d’administration du circuit de la santé les quelque 3 000 bénévoles qui s’y trouvaient pour les remplacer (dans les nouveaux Centres Intégrés) par à peine deux cents personnes vraisemblablement rémunérées. Allô la représentation citoyenne !
Autrement cette loi, curieusement appuyée par le Conseil du statut de la femme mais excluant les sages-femmes des nouveaux conseils d’administration, est une preuve de plus, s’il en fallait, que le bon docteur Barrette n’a que faire de ceux et celles qui prônent la complémentarité dans le travail avec une autre médecine que la sienne. Et cela, c’est sans compter les dommages infligés au communautaire partout au Québec et de la perte inhérente d’expertise en itinérance et en santé mentale, ainsi qu’au chapitre du logement social, de la prévention et de la promotion de saines habitudes.1
Ici, madame David (QS) aura beau invoquer les nouveaux amendements qu’elle a réussi à faire adopter, rien n’indique que le ministre Barrette a l’intention d’inclure les groupes communautaires de défense de droits et les groupes de service dans les conseils d’administration.
Comme on l’a entendu ad nauseam, la loi 20 est censée régler le problème des quelque 370 000 patients orphelins de la province (30 000 rien que dans la région de Québec) en obligeant les 9 100 médecins omnipraticiens du Québec à hausser leurs quotas de patients de 1 000 à 1 500 par année.
Rien de moins. Là encore, à peu près tous les acteurs du milieu, à commencer évidemment par les médecins, s’accordent pour dire que cela aura pour effet d’entraîner une médecine volumétrique, déshumanisante, faite de travail à la chaîne, qui pourrait bien avoir comme conséquence de mettre sur une voie d’évitement les patients les plus vieux, les plus vulnérables et les plus démunis, en plus de provoquer l’exode des médecins vers le privé ou la retraite anticipée. Et pour cause! On n’a qu’à voir ce qui se passe actuellement dans le réseau de la santé avec la mise en oeuvre de la méthode Toyota-LEAN, avec tout ce que cela peut avoir de désastreux sur le moral du personnel.
Question d’accessibilité aux soins, j’ajouterais que les personnes âgées et vulnérables de la Basse-ville n’auront pas besoin de l’adoption d’une loi 20 pour en vivre les effets néfastes, puisque, à cause des coupures de budget, de l’attrait du privé et faute de personnel pour remplacer les départs à la retraite, les quartiers centraux sont littéralement en train de se vider de leurs cliniques, de leurs médecins et de leurs effectifs humains. D’où le profond désarroi de la population laissée pour compte…
Tout n’est pas si noir. Des gens dans le quartier Saint-Sauveur luttent pour conserver leur clinique sans rendez-vous. Il y a aussi des initiatives comme la coop de santé SABSA et la clinique mobile SPOT pour apporter un petit vent de fraîcheur et d’espoir.2
Une solution connue mais pas appliquée
Finalement, aux dires de bon nombre d’acteurs du milieu — et j’en suis — une solution durable et toute simple pour une meilleure accessibilité aux soins, tiendrait nécessairement compte d’une plus efficace répartition des actes médicaux entre médecins, infirmières praticiennes, pharmaciens et sages-femmes. Une répartition des actes, aussi, qui devrait se faire avec un plus juste partage des actes médicaux particuliers (AMP) entre omnipraticiens et grâce à un arrimage de travail plus efficace entre ces derniers et les médecins spécialistes.
En outre, la rémunération des médecins pourrait se faire autrement qu’à l’acte et il faudrait enfin mettre sur pied une politique globale de la santé axée davantage sur la prévention et la responsabilisation de la population.
Une solution toute simple, mais qui nécessite de la concertation, pas de la confrontation.
On est bien mal barrés, j’vous dis.
1- SABSA : Coopérative de soins de santé. Service à bas seuil d’accessibilité.
2- SPOT : Santé pour tous. Clinique communautaire de santé et d’enseignement.