Par Simone Beaudoin
Indignée. Je suis indignée. Indignée par cette brutalité, cette violence. Cette injustice flagrante, qui porte le nom ridicule de « justice ». Et j’ai mal. J’ai mal pour eux, ces manifestants coupables de dire ce qu’ils pensent. J’ai mal pour elle, cette pauvre fille au visage massacré par les bombes lacrymogènes, lancées en plein dans sa face. Et j’ai mal pour moi. Pour mon avenir. Pour mes rêves. Pour mes espoirs. Pour mon courage, ma force… Pour mon effroyable sentiment d’impuissance.
Et puis, j’ai peur. J’ai peur pour moi, bien sûr, mais aussi, et surtout, pour eux. Mes amis, mes proches… mais même pour de purs inconnus, perdus au milieu de cette foule, brutalisés par ces policiers en habit bleu, avec leurs masques et leurs boucliers, qui font pleurer les petites filles… J’ai peur qu’on soit blessés, gravement blessés. Ou pire encore, qu’on perde. Qu’on perde notre motivation, notre énergie incroyable qui nous permettent de nous battre encore, même après toutes ces défaites, même après toute cette douleur. J’ai peur de voir notre liberté (le peu qu’il nous en reste) s’écrouler tout à fait devant toute cette pression. J’ai peur, tout simplement. Et j’ai honte d’avoir peur… La peur est l’ennemie de la dignité.
Et je suis triste. Tellement, tellement triste. Triste pour les gens du passé, qui se sont tant battus, comme nous… Pour ce que ça a donné! Et triste pour les gens du futur. Ces gens qui devront vivre dans le résultat de cet effroyable gâchis. Et, par-dessus tout, je suis triste pour nous, les gens du présent. Pour tous ceux qui, comme moi, manifestent contre ce qui leur parait injuste en ce monde. Mais, aussi bizarre que cela puisse paraitre, c’est surtout pour les « autres » que je suis triste. Ces « autres », qui ne savent même pas pourquoi on se bat, ou pire, qui voient les manifestants comme des « enfants gâtés » ou des « terroristes ». Mais justement. Toutes ces émotions contradictoires qui m’habitent, elles ne sont pas là pour rien.
Si je veux, je peux faire en sorte qu’elles servent à quelque chose. Elles peuvent nourrir ma colère, mon énergie quasi-désespérée, ma force, ma confiance. Et surtout, elles peuvent, non, elles doivent, m’encourager, nous encourager, à continuer à nous battre. Et, même si cela implique le risque d’être déçue, je continuerai d’entretenir des espoirs, et surtout, de les défendre.