Lettre de Claudelle Cyr, présidente du Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) à Jean- Marc Fournier, ministre responsable de l’accès à l’information et de la réforme des institutions démocratiques
Monsieur le ministre, le projet de loi 56 sur la transparence en matière de lobbyisme, que vous venez de déposer le 12 juin dernier, soulève notre indignation et suscite de nombreuses questions au sein des organismes d’action communautaire.
Pourquoi enfermer les organismes d’action communautaire dans une lourdeur administrative et législative alors que depuis 2001, une politique gouvernementale précise les relations du gouvernement avec le milieu communautaire ? Doit-on comprendre que le gouvernement remet en question cette politique ? Que cache cette réforme ? Est-ce la chronique d’une mort annoncée du soutien du gouvernement au milieu communautaire tel que nous le connaissons ?
[…] La mission des organismes communautaires consiste aussi à travailler sur les conditions de vie des citoyens dans une visée d’amélioration du tissu social. Or, cette finalité nécessite parfois d’interpeller les titulaires de charges publiques pour, par exemple, la mise en oeuvre d’une politique, la rédaction d’orientations ministérielles, etc.La politique de 2001 reconnait cette expertise. […] Avec l’actuel projet de loi, vous venez de modifier, sans discussion, de façon unilatérale, une politique sur laquelle s’appuient les relations entre l’appareil gouvernemental et les organismes depuis bientôt 15 ans.
Devons-nous vous rappelez, monsieur le ministre, que la transparence est justement au coeur des activités des organismes d’action communautaire ? Pour travailler à l’amélioration des conditions de vie et pour lutter contre l’exclusion sociale, les organismes ont déjà besoin que leurs interventions soient connues, surtout celles auprès des décideurs. L’inscription à un registre de lobbyistes n’est-il pas un pléonasme puisque les organismes ont l’habitude d’annoncer leurs activités d’influence sous une multitude de tribunes (site internet, rapport d’activités, communiqué, etc.) ? Il est déjà dans la culture des organismes communautaires de faire leurs représentations auprès du politique, en toute transparence.
Il existe entre 5 000 et 8 000 organismes d’action communautaire au Québec (dont 4 000 d’action communautaire autonome). En obligeant tous les membres de leur personnel et de leur conseil d’administration, qui auront à communiquer avec un-e titulaire de charge publique à s’inscrire comme lobbyistes, avez-vous pensé aux milliers d’inscriptions qui pourraient embourber le registre? On parle de la maison de jeunes qui demande à son conseiller municipal l’accès au terrain de la ville pour y faire son épluchette de blé d’inde annuelle, d’une maison de la famille qui demande au maire de sa municipalité la fermeture d’une rue pour faire une fête de quartier, et par la même occasion, promouvoir ses activités, etc. Cela ne risque-t-il pas de noyer les inscriptions de véritables lobbyistes et, en fin de compte, de jouer contre la transparence que vous prônez ?
Nous osons espérer que vous n’ajouterez pas un nouveau fardeau aux organismes d’action communautaire, surtout en cette période d’austérité où de nombreuses victimes des coupures gouvernementales se tournent davantage vers les organismes communautaires.