Quand les femmes s’en mêlent : 20 ans après Du pain et des roses

Par Lynda Forgues
Publié le 21 juin 2015
 Vingt ans plus tard, les femmes réunies devant l’Assemblée nationale.                                               

Le 6 juin, avait lieu devant l’Assemblée nationale une commémoration des 20 ans de la Marche du pain et des roses, qui apportait au gouvernement neuf revendications. Qu’est-il advenu de ces demandes ?

Dans le milieu des années 90, les emplois précaires se multiplient, surtout pour les femmes qui occupent plus des deux tiers des emplois à temps partiel dans le secteur des services; elles travaillent souvent au salaire minimum, quand elles travaillent. En 1995, 850 d’entre elles ont marché durant 10 jours pour contrer la pauvreté, en partant de Rivière-du-Loup, de Longueuil ou de Montréal, dans le but d’apporter une liste de neuf revendications aux politiciens de l’Assemblée nationale.

Le 4 juin 1995, un rassemblement de plus de 10 000 personnes les attendent, formant une vaste manifestation, en chantant « Du pain et des roses, pour changer les choses ». Gain non négligeable, pour l’époque et la région, cette manifestation monstre à Québec a sûrement aidé à mettre un terme au déplorable concours des duchesses du Carnaval, qui cessa quelques mois plus tard. Elles sont pourtant revenues en 2014. Finalement, les choses ont-elles tant changé?

Équité salariale

Les femmes demandaient Une loi proactive sur l’équité salariale, qui a été adoptée en 1996 et mise en vigueur un an plus tard. En réalité, aujourd’hui, les emplois à prédominance féminine demeurent encore sous-payés par rapport à leurs pendants masculins. Le gouvernement du Canada, lui, n’a toujours pas voté de loi semblable, donc, les entreprises sous juridiction fédérale (compagnies aériennes, banques, télécommunications, postes, etc.), basées au Québec, ne sont pas assujetties à la loi provinciale. De plus, les multiples petites entreprises (de moins de 10 personnes) n’y sont pas non plus assujetties.

Salaire minimum

Les femmes revendiquaient Une augmentation du salaire minimum au-dessus du seuil de la pauvreté (8,15 $ de l’heure). Le salaire minimum, à l’époque de 6 $, a été haussé à 6,45 $. Lorsque la ministre de l’Emploi de l’époque, Louise Harel, est venue annoncer cette « victoire », elle a été huée par la foule…Le salaire minimum devrait aujourd’hui être au moins de 13 $ de l’heure ! Selon Statistiques Canada, le pain qui coutait 1,30 $ en 1995, se vend 2,90 $ en 2015.

Pension alimentaire

Les femmes avaient dans leur liste la demande d’Un système de perception automatique des pensions alimentaires avec retenue à la source. Québec a accepté d’adopter cette loi en 1995, et elle existe toujours. Mais l’injustice fiscale, faisant en sorte de compter comme revenu pour le parent (la mère la plupart du temps) la pension alimentaire versée pour les enfants dans le calcul de l’aide sociale, des prêts et bourses et de l’aide juridique, persiste toujours.

Logement social

Les femmes étant souvent pauvres et responsables de familles, La création d’au moins 1 500 nouvelles unités de logement social par année, leur était une exigence incontournable. Le Parti québécois de Parizeau l’avait déjà comme promesse à son programme en 1994. La marche des femmes a voulu le lui rappeler. Avec l’objectif du déficit zéro du premier ministre Bouchard, dès 1996, les groupes comme le FRAPRU ont dû batailler ferme pour obtenir AccèsLogis en 1997. En 2001, grâce à Ottawa, AccèsLogis est prolongé, mais chaque fois avec précarité. Depuis 2011, le gouvernement Harper a mis fin aux investissements en logement social. Au Québec, l’argent reçu du fédéral ne permet pas de subventionner les logements existants d’AccèsLogis. Une menace pèse sur 125 500 logements toujours financés par Ottawa : la fin du financement des HLM et des coopératives au Québec. Les ménages à faible revenu ne recevront plus la subvention qui leur permet de payer 25 % de leur loyer. De plus, sous prétexte d’atteindre l’équilibre budgétaire, AccèsLogis risque fort de passer à la moulinette du PLQ.

Frais de scolarité

Afin d’améliorer l’accès aux études, la Marche du Pain et des roses réclamait Le gel des frais de scolarité et l’augmentation des bourses d’étude. Le gel a été maintenu à l’époque… sans augmentation notable. On sait ce qu’il adviendra par la suite : la hausse de 2012 par le gouvernement Charest, la lutte des carrés rouges, la promesse brisée des péquistes, et l’indexation finale.

Et aussi…

Quatre autres revendications faisaient partie de la liste, portant sur l’emploi, sur les mesures d’employabilité, la violence conjugale et le parrainage des immigrantes. Il parait qu’à l’époque, les femmes auraient donné une note de 7 sur 10 au gouvernement Parizeau… Aujourd’hui, nous voyons que les mesures d’austérité visent les diverses mesures mises en place dans le passé. Le 16 juin dernier, la ministre à la Condition féminine, Stéphanie Vallée, annonçait des coupes de près de 60 % dans le budget de 16 organismes d’aide à l’emploi pour femmes. Un véritable retour en arrière vers encore plus de pauvreté.

En 2015

La Marche du pain et des roses a initié la Marche mondiale des femmes (MMF) qui, à tous les cinq ans, comme cette année, permet aux femmes du monde de réclamer plus d’équité, et de s’organiser pour faire la lutte à la pauvreté. Est-ce que des dizaines de milliers de femmes se réunissent devant l’assemblée nationale pour huer un ministre des finances venu les rencontrer ? Non !

Cette mobilisation s’est transformée : on rédige des propositions, formule des revendications, à l’intention des gouvernements. Deux des organisatrices de la première heure, Françoise David et Manon Massé, sont passées de l’autre côté de la clôture, elles sont maintenant députées, ce qui doit leur permettre, souhaitons-le, d’avoir beaucoup de poids politique lors de l’adoption des lois !

Que l’on s’organise pour faire la lutte à la pauvreté, ça se comprend. Cette année au Québec, ces petites manifestations de la MMF scandaient des slogans contre l’austérité. Mais va-t-on tenter de remettre un cahier de revendications et de doléances, en ces temps de plus en plus difficiles, à un gouvernement aussi arrogant ? Va-t-on réclamer plus d’équité à Couillard, Coiteux et Leitao ? Ce serait bien illusoire…

Que faire ?

En 1995, ce qui a décidé le gouvernement à accéder à certaines demandes, ce n’est pas qu’il était un meilleur gouvernement, plus humain, plus compréhensif, c’est la mobilisation massive de toutes ces femmes qui ont marché ensemble pour une cause commune : c’était le rapport de force créé par la mobilisation. En 1995, le gouvernement de l’époque préférait avoir une large partie de ces femmes de son côté pour sa bataille référendaire à venir.

Aujourd’hui, nous le savons, les femmes sont les plus durement touchées par les mesures injustes du gouvernement, et les premières concernées par les coupes en éducation et en santé. Des femmes, il y en a partout, dans les associations étudiantes, les syndicats, les milieux de travail, les quartiers, les rues, les groupes communautaires, elles sont présentes dans toutes les communautés. En tout temps, en tout lieu, ce qu’il faut faire, c’est de bâtir un réel rapport de force. Et ce rapport de force, il se bâtit dans la rue et non autour d’une table avec des politiciens.

La prochaine fois qu’on se retrouve à plus de 10 000 devant l’Assemblée nationale, il faudrait avoir à la main quelque chose de plus percutant que des roses.

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