Vivre : De Jacques Parizeau à la vague orange de 2011, la social-démocratie au Québec

Publié le 21 juin 2015

Par Malcolm ReidDESSIN MALCOLM

JACQUES PARIZEAU, je l’aimais beaucoup dans le film documentaire de Simon Beaulieu, Godin.

Dans ce film d’un jeune réalisateur, né après les premiers pas de la Révolution tranquille, Parizeau raconte ce que c’était pour lui de côtoyer un politicien beaucoup plus marxiste et rebelle que lui, Gérald Godin. Il raconte Godin avec amour. Il raconte Godin avec une voix rythmée, une voix dramatique.

ET CE PRINTEMPS, le parti de ces deux hommes, le Parti québécois, s’est choisi comme chef un milliardaire, un homme célèbre pour ses cassages de syndicats.

C’est quoi l’idée ? L’idée semble être que Pierre Karl Péladeau est riche et plein de succès, alors sa richesse et son succès vont être transmis à la cause de l’indépendance du Québec. Mais le parti a toujours parlé d’une indépendance socialement démocratique. Péladeau fitte pas. Moi, mon intuition est que cette mal-adaptation de l’homme à la tâche va avoir raison de sa plongée en politique. Qu’il ne convaincra pas le peuple. Qu’il ne deviendra pas premier ministre. Qu’il ne conduira pas le pays à l’indépendance. Que la tâche restera à accomplir par d’autres.

LA SOCIOLOGIE de la tradition social-démocratique au Québec est une grande question. Qui est rarement étudiée. Cette sociologie change, je pense, mais comment change-t-elle ? Nos outils des années 1970 sont-ils adéquats pour voir ce qui se passe ? J’ai décidé ce mois-ci d’essayer d’explorer ces nouvelles réalités. De faire un tour en territoire inconnu, jusqu’aux gazons de Charlesbourg.

La social-démocratie, c’est la gauche modérée. Elle combat, mais dans les formes, en respectant les droits. Elle cherche à réduire les inégalités, et elle entreprend, habituellement, pour ce faire, de construire un réseau de services à la population. Ces services sont étatiques, mais la social-démocratie encourage aussi les coopératives et les initiatives dans les communautés. Parfois elle crée des industries nationalisées, parfois moins. Un système public de santé a été le couronnement de ce courant politique dans beaucoup de pays. Mais de nouvelles inventions sont toujours les bienvenues.

DANS NOTRE VIE, c’est le Parti québécois qui a le plus représenté notre version de la chose. « Social-démocratie » est entré dans le vocabulaire du parti, mais lentement. Lévesque, le fondateur, était souvent perçu comme un social-démocrate même quand il faisait Point de mire, en 1957, mais il utilisait rarement le mot. Lévesque soulignait la souveraineté en fondant son parti, il a imposé ce mot. Il soulignait aussi les relations cool avec les Anglophones et le Canada anglais. Mais petit à petit, en voyant la législation de son gouvernement, protection des terres agricoles, loi anti-scabs, assurance automobile, on parlait d’un climat social-démocrate. Rendu à Parizeau (1990), Landry (2000) et Marois (2013), le mot était accepté.

Vanté, même. La popularité de ce parti semblait signifier que l’esprit de la Révolution tranquille persistait, que la social-démocratie était dans la culture.

C’est contre cela que le néo-libéralisme québécois a commencé à réagir, vers 1999. Comment le situer ? Choisis un moment. La montée du Cirque du Soleil : une merveille québécoise qui était une entreprise privée ? Ou alors l’apparition de l’expression « le sacro-saint modèle québécois » ? On n’avait pas beaucoup parlé d’un modèle québécois avant ça… l’expression a été forgée pour y coller le mot sacro-saint et pour s’en moquer.

J’ai un ami, Ontarien d’abord et plus récemment Américain, qui a décidé de venir au Québec, à l’âge de 55 ans — parce qu’il voit la persistance d’un esprit socialdémocrate ici. Il y croit. Il essaie de devenir Québécois, pour y participer.

Mais il ressent des changements autour de lui. Un premier référendum souverainiste a obtenu 40 %, un second 49 %. Il n’y en a pas eu depuis, et les changements se poursuivent. La banlieue explose et le Québec est davantage une société de classe moyenne.

EN BANLIEUE, la social-démocratie est-elle présente ? La grande affaire ! L’élection fédérale de 2011 a vu apparaître une nouvelle forme, une forme qui cherche un lien avec le Canada anglais. Si l’indépendance ne se fait pas, une exploration des forces parlables au Canada anglais semble, pour beaucoup des gens ordinaires, une chose à faire. Le Bloc québécois, auxiliaire fédéral du Parti québécois, a faibli. Et le Nouveau Parti démocratique a essaimé.

Ce parti avait vécu un demi-siècle comme parti entièrement anglo-canadien. Désormais, il était la voix du Québec français à Ottawa. Quand, soudainement, son chef est mort… le parti s’est choisi un chef québécois.

« Je n’ai pas voté à cette élection, m’a dit un ami de Charlesbourg, mais mes enfants ont voté. Et tous ont voté orange ! Ouais. Ils ont voté Nouveau Parti démocratique. Et tu sais, depuis leur élection je trouve qu’ils ont fait une maudite belle job, les Néo-démocrates. »

Une autre amie avait quitté Charlesbourg pour se rapprocher du centre-ville, elle a voté à cette élection-là, dans Limoilou.

« Je suis une souverainiste molle, je dirais. Mais je travaille dans les transports en commun. Et jamais je ne voterais à droite. Alors oui, j’étais dans la vague orange. Et Raymond Côté s’est révélé un député énergique. Quand la poussière de métal a envahi le Vieux-Limoilou, il s’est impliqué. Il a convoqué des réunions, il a parlé avec le monde, il a parlé en chambre. J’ai remarqué aussi que, quand un de mes collègues a passé d’immigrant à citoyen, M. Côté lui a envoyé un questionnaire: Quelles sont vos préoccupations ?, lui demandait-t-il.»

Côté et les autres députés néo-démocrates ont reçu très peu de couverture de presse. Ils n’avaient pas un Amir Khadir pour forcer l’attention. Et il en aurait fallu un, car notre intelligentsia médiatique était très dépitée par l’apparent éloignement du peuple avec le thème indépendantiste.

Des Québécois francophones avaient beaucoup participé à la fondation du NPD, en 1961. Michel Chartrand était là, au congrès d’Ottawa, et Roger Provost, et Claude Jodoin, et Gérard Picard. Ils ont aidé à choisir le nom Nouveau Parti démocratique. Ils ont aidé à choisir Tommy Douglas, premier ministre d’un gouvernement socialdémocrate en Saskatchewan, qui venait de lutter pour créer le premier système d’assurance-santé au Canada, comme chef de la nouvelle formation … C’est que l’idée indépendantiste n’était pas encore vraiment née, au Québec. Lesage et Lévesque réformaient les choses depuis un an. Libéraux, ils étaient.

Et ce NPD naissant était gagné à l’idée d’un Canada de deux nations. Il espérait être un des grands rouages de la Révolution tranquille qui s’en venait. (Une trace reste de cette pensée dans le parti actuel : c’est la Déclaration de Sherbrooke, qui reconnaît le droit du Québec à l’autodétermination… et à l’indépendance, même.)

Mais l’idée de l’indépendance a émergé. Elle a capté toute cette énergie radicale. Moi — qui avais des racines socialistes, dans une enfance canadienne-anglaise dans la banlieue ouest d’Ottawa — j’ai lu la revue parti pris en 1963, et je n’ai plus milité au NPD. J’étais persuadé que jamais ce parti serait plus qu’une modeste force, au Québec. Au Québec, indépendance et socialisme allaient ensemble. En mai 2011, donc, je vote Christiane Gagnon, et quand je me réveille, j’ai Annick Papillon comme députée. Jack Layton avait exercé sa magie. Les Québécois, apparemment, avaient gardé les Néo-dems en réserve, pour le moment où ils seraient tannés de tous les autres.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité