Depuis peu se tiennent des marchés publics dans les quartiers centraux, à l’initiative de citoyens soucieux d’accroître la proximité alimentaire dans leur milieu. Hélas, l’accessibilité économique n’est pas toujours au rendez-vous.
La saveur incomparable des végétaux fraîchement cueillis, le déferlement des couleurs, les variétés sans cesse croissantes déclinées en poivrons mauves, en raffinées betteraves oblongues et dorées, en choux-fleurs orange vif, en concombres délicats, en courges monumentales, tout cela, de juillet à octobre, fait confluer massivement vers le marché du Vieux-Port. Et tout cela aide à l’atteinte, dans la joie, du fameux objectif santé de manger quotidiennement au moins cinq, et de préférence dix, portions de fruits et légumes.
On tente maintenant d’offrir une expérience de consommation similaire au cœur du centre-ville. À l’été 2013, le Collectif Fardoche et Faubourg en saveurs y implantaient de petits marchés publics, le premier dans Saint-Sauveur (parc Durocher) et le second dans Saint-Jean- Baptiste (parvis de l’église), alors que le Collectif Rutabaga leur emboîtait le pas dans Limoilou (3e Avenue) en 2014.
Les marchés publics locaux offrent des produits frais et transformés de qualité, et plus encore. « Le marché de Saint-Sauveur est un lieu où les gens peuvent se rencontrer, socialiser, prendre un café pas cher. Animations, jeux, musique sont proposés », dit ainsi Marie-Joëlle Lemay- Brault, animatrice-coordonnatrice au Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur (CCCQSS).
À Limoilou, les jours de marché (les dimanches d’août et de septembre), un petit tronçon de la 3e Avenue devient piétonnier. Un peu plus de 2 000 personnes — des résidants du quartier en quasi-totalité — y déambulent. Quelques transformateurs s’ajoutent aux producteurs. On projette aussi, comme le fait Saint-Sauveur, d’animer l’endroit. Dès l’an dernier, lors de la première édition, l’événement était considéré comme un succès.
Reste que le bât blesse côtés prix et variété. À titre d’exemple, à Limoilou, le poivron vert se détaillait 1,50 $ (l’unité), le rouge, 3 $, les fèves jaunes et vertes, 4 $/ lb (soit plus de 8 $/kg). En pleine saison, c’est cher payé, d’autant que les marchés publics sont censés nous épargner un intermédiaire, soit le distributeur. Et contrairement au Vieux-Port, impossible de faire des économies d’échelle : peu importe le format ou la quantité, les prix sont inchangés. Pas de rabais non plus sur les invendus à l’heure de fermeture. Et si l’offre est suffisante, elle ne peut certes pas être qualifiée de luxuriante.
Le portrait est sensiblement le même au marché de Saint-Sauveur, chapeauté par le CCCQSS. « Nous avons sensibilisé les producteurs à la réalité du quartier. Mais de fait, l’accessibilité économique du marché est à améliorer », concède Mme Lemay-Brault. En même temps, « il faut accepter certaines limites en raison de la taille de nos marchés », dit-elle. Micro-marchés qui transigent avec de petits producteurs, ce qu’en comparaison, les exposants du Vieux-Port ne sont franchement pas.
Mine de rien, la concrétisation de ces projets locaux n’est pas aisée, tient aussi à préciser Mme Lemay-Brault. Et une fois implantés, ils demeurent fragiles. D’ailleurs le marché Faubourg en saveurs a dû déclarer forfait cette année, en raison de la fermeture de l’église Saint-Jean-Baptiste (qui fournissait un soutien logistique) et du retrait des principaux partenaires financiers.
On ne peut qu’applaudir à une augmentation de l’offre alimentaire de qualité dans le centre-ville. C’est là une préoccupation que partagent de nombreux citoyens et organismes voués à l’amélioration des conditions de vie. Mais il faut se demander aussi jusqu’à quel point les marchés publics locaux servent les seules fins de la gentrification des quartiers centraux.