Par Pierre Mouterde
Il y a de multiples façons d’appuyer la lutte de Vigilance Port de Québec qui tente déjà depuis 3 ans d’en finir avec la contamination provenant des poussières métalliques touchant plusieurs secteurs de la ville de Québec. Et le petit ouvrage de Chantal Pouliot — Quand les citoyen.ne.s soulèvent la poussière — publié à compte d’auteur aux éditions Carte Blanche, et lancé récemment à Limoilou, en fait d’évidence partie. Mais sur un mode en tous points original!
Original en effet est le cheminement de Chantal Pouliot, elle qui vit avec sa petite famille au cœur de Limoilou. Car ce n’est pas d’abord en tant que citoyenne de Limoilou qu’elle s’est intéressée à la question des poussières rouges et de nickel se répandant sur son quartier et milieu de vie, mais en tant que chercheuse universitaire. Chantal Pouliot travaille à l’université Laval et enseigne comme professeure à la faculté des sciences de l’éducation, la didactique des sciences.
Autrement dit, elle forme des étudiants de manière à ce qu’ils soient capables — quand ils enseigneront à leur tour les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie, etc. — de présenter leur matière de la façon la plus efficace et judicieuse qui soit. C’est dans ce cadre qu’elle s’est spécialisée sur la question des controverses socio-scientifiques contemporaines (OGM, téléphones cellulaires, etc.), et plus particulièrement sur « la participation citoyenne à la gestion des controverses sociotechniques locales ou nationales ». En d’autres mots, cela veut dire qu’elle s’intéresse à la façon dont les citoyens peuvent intervenir dans un débat public dans lequel entrent en jeu les données de l’expertise scientifique.
Depuis quelques décennies, dans le sillage de la dérégulation néolibérale et de l’utilisation croissante de nouvelles technologies, on assiste en effet à la multiplication d’interventions citoyennes d’un autre type : des gens qui ne se contentent pas de défendre une cause sur la base d’une argumentation sociale ou idéologique classique, mais qui, en même temps, se voient obligés de produire une argumentation scientifique susceptible de contrecarrer les discours des lobbies ou des pouvoirs en place défendant bien souvent l’indéfendable en le drapant du langage de l’expertise scientifique.
En ce sens, le travail mené par Véronique Lalande et Louis Duchesne autour de la contamination au nickel provenant du Port de Québec, a été pour Chantal Pouliot un beau cas d’école : un cas exemplaire. Car dans cette affaire, grâce à eux, a pu « émerger une controverse publique », et comme elle le rappelle, « des citoyens éclairés ont été capables de comprendre des savoirs scientifiques et de s’engager comme citoyens ». Plus encore, ils ont été capables d’aller bien au-delà de la pseudo expertise officielle (en santé, en environnement, etc.), en définissant, à partir de l’intérêt citoyen, clairement un problème, puis en produisant de nouveaux savoirs scientifiques et enfin en trouvant des solutions appropriées.
C’est en effet tout ce que Vigilance Port de Québec est parvenu à faire : en démontrant, données à l’appui, qu’il existait une contamination au nickel des plus problématiques pour la santé; une contamination provenant du Port de Québec et dont on pouvait réduire les effets nocifs par le biais du recouvrement systématique de toutes les activités de transbordement actuellement faites à l’air libre.
Mais au fil de sa recherche — et c’est ce que nous a confié Chantal Pouliot — bien d’autres éléments sont apparus qui n’ont pas manqué de l’interpeler. Peutêtre parce qu’elle se revendique du féminisme et se dit sensible aux iniquités sociales ? Peut-être aussi parce qu’elle juge que « les intellectuels ont la responsabilité sociale de mettre à contribution leur expertise » ? Peut-être enfin parce qu’elle voulait produire quelque chose d’utile, un « livre citoyen » ?
Quoiqu’il en soit, ce qui a frappé la chercheuse — au-delà même de la valeur académique de la controverse scientifique à laquelle elle s’est attachée — c’est ce qu’elle appelle « l’asymétrie des savoirs et des pouvoirs », c’est-à-dire le fait que, dans cette affaire, les citoyens en lutte se sont trouvés confrontés à des relations de pouvoirs et de savoirs fortement inégales; des relations de pouvoir entre de petits groupes de citoyens cherchant à se faire entendre avec très peu de moyens, et des pouvoirs institutionnels en place (directions du port ou d’entreprises de transbordement, mairie, santé publique, ministère de l’environnement, etc.) disposant de moyens considérables. Ce qui rendait l’intervention citoyenne d’autant plus difficile et périlleuse.
Elle en sait d’ailleurs quelque chose, elle qui, malgré le caractère scientifique de sa démarche, a dû consulter des avocats avant de publier son opuscule, tant elle craignait des poursuites devant les tribunaux. Aussi ce qu’elle a appris et ne pensait pas apprendre en faisant ce travail – nous confie-t-elle en terminant cette entrevue — « c’est le courage, la détermination et la ténacité que ça prend ».
On ne saurait mieux dire, quand on pense à tout le travail entrepris par Véronique Lalande et Louis Duchesne qui, avec les projets d’agrandissement du port, est loin, très loin d’être terminé…