Par Malcolm Reid
Jean-Paul
Mon ami Marc et moi n’étions pas d’accord sur Jean-Paul L’Allier. J’étais un membre de la première heure du Rassemblement populaire; ça faisait cinq ans que nous bâtissions un parti municipal de gauche. Après deux dures campagnes avec l’animateur social Pierre Racicot comme candidat à la mairie de Québec, j’étais d’accord pour chercher quelqu’un de plus populaire, de plus vendable. Un syndicaliste? Un écolo?
La rumeur courait qu’on proposait la candidature à une féministe en vue. Et j’aimais l’idée. Mais elle a dit non. C’est là que L’Allier est apparu. Je connaissais cet homme. Je l’aimais.
Je l’avais suivi pour le Globe and Mail quand il était ministre libéral, et il était Monsieur Approchable. Fils d’un boulanger de Sainte-Scholastique, il nous disait : « Les gardes du corps et tout le fla-fla, j’suis pas fou de cela. » Un journaliste apprécie ça. MAIS HOMME DE GAUCHE ? J’en doutais. Marc, lui, était plus à gauche, il n’avait pas d’attache tendre avec le rassemblement populaire. Simplement, il avait rencontré L‘Allier, et L’Allier avait parlé urbanisme avec lui . «Je vote pour lui, Malcolm. Il me semble un gars parlable. » J’ai voté pour Jean-Paul moi aussi, dans chacune de ses victoires.
Ces victoires, en 1990 et après, étaient remportées beaucoup par notre porte-à-porte. Il a été un bon maire, et ses troupes étaient là pour lui rappeler plusieurs fois ses engagements populaires. Il a réalisé la belle chute- d’eau rocheuse dans Saint-Roch. Il a bûché fort aussi, l’internationaliste en lui, pour obtenir les Olympiques pour Québec. Je lui ai pardonné cette gloriole. Et avant de mourir, Jean-Paul L’Allier a pu se raviser : les Olympiques, disait-il dans une entrevue, c’est rendu pas mal une affaire d’argent. Ça m’a secoué quand il est décédé, et j’ai maudit la presse qui le louangeait sans mentionner le Rassemblement populaire. Jean-Paul L’Allier c’était une étape, me suis-je dit. Comme ma femme Réjeanne l’a chanté à nos réunions, évoquant les quartiers ouvriers de Bologne :
Ce n’est pas en un jour
Que l’on a bâti Rome
Et ce n’est pas en deux
Les conseils de Bologne…
MAIS LE VRAI HÉROS de ce Vivre est un de mes amis. Vincent, je l’appellerai. Vincent a 22 ans, il vient des Cantons de l’Est. Il étudie la foresterie à l’Université Laval, et je l’ai rencontré en 2013, dans la commune qu’il habite avec huit autres Carrés rouges du printemps 2012. Il était sur le toit de cette maison… moi, je passais dans la rue. « On n’a pas baissé pavillon, m’a lancé Vincent. Ces manifs nous ont changés, et on a l’intention de continuer. » Chaque dimanche soir en été, ils invitent leurs amis à un barbecue sur le toit.
Là, j’ai rencontré Laure, Diane et Mélanie. Laure m’a dit : « Je ne suis pas étudiante, moi, je travaille dans un café du quartier. Mais j’ai trouvé la gang sympa. » Diane a dit : « Je viens de l’Outaouais. Vincent étudie la foresterie, moi c’est les soins infirmiers. Je suis d’accord avec les idées de la maison. Ma famille a toujours été politisée, très souverainiste. »
Mélanie était taciturne. « Ch’pas si active que ça. Mais je sais que le système est destructeur. Ça va tomber. » Un autre invité était Max, un dessinateur de bande dessinée. Il aimerait voir des BD dans notre journal, qu’il m’a dit. « J’aime votre ligne de pensée à Droit de parole, mais j’aimerais voir des nouvelles méthodes de communication. » Une présence à ces conversations était Andréanne, son esprit en tout cas. Car cette étudiante a pris son départ pour une ferme biologique en Gaspésie.
« Elle a toujours lu Droit de parole quand ça arrivait à la porte, dit Vincent. Elle était la plus « lecture » d’entre nous. Elle avait du leadership dans la maison, un peu. » Par après, Vincent m’a dit que lui aussi va déménager dans un an ou deux, en Abitibi. Ça bouge vite dans la maison.
VINCENT, j’ai eu la chance de poursuivre les discussions avec lui. Il est pour beaucoup dans le fait que le groupe est encore un groupe; un leader-par-le-style, je dirais. « C’est clair pour moi que le système est fragile, branlant. Je veux être là pour le voir se désintégrer. Il tue la planète. Nous, on essaie de vivre avec la planète. Es-tu libre vendredi, Malcolm ? Tu sais, il y a une énorme quantité de nourriture qui est bonne, mais qui est jetée. J’ai appris à récolter ces pains et légumes. Ici, on vit beaucoup de cette récolte. Les supermarchés sont même pas fâchés qu’on aille chercher leurs invendus.
« Ce qui m’amène à dire: Pourquoi l’argent? On n’a pas besoin de l’argent. Il y en a parmi nous qui sont déjà dans le système d’après-le-Système. Et notre gang est très gourmet! On fait des repas formidables. » Je n’ai pas encore fait une récolte avec Vincent. Il a eu un accident en Gaspésie, mais quand il sera rétabli, il m’invitera. Je l’ai emmené à la conférence du professeur Léo-Paul Lauzon au souper du Fonds des Groupes populaires, l’an dernier. « Austérité mon œil ! », a crié le prof, et Vincent a bien réagi. Mais rentrant chez nous après, il n’a pas cessé de répéter : « Pas besoin !
C’est ça qu’il faut comprendre. On n’en a pas besoin, de l’argent. » Vincent est le fils d’un menuisier de cirque en Allemagne. Et d’une Québécoise, couturière de ce cirque. Elle a ramené son Allemand avec elle, en Estrie, et c’est là que Vincent a grandi, et s’est imbibé de son esprit anar. Alors, à un de ces jours, Vincent. À une de ces nuits.