Le Forum social mondial (FSM), c’est plus de 1 500 ateliers et conférences et 20 000 participantEs. Cela demande une bonne condition physique, beaucoup de patience et de souplesse, mais cela permet de vivre une authentique expérience d’immersion. Voici en vrac les ateliers, rencontres et discussions auxquels j’ai assisté à Montréal du 8 au 14 août dernier.
Dois-je préciser que la connaissance de l’anglais et de l’espagnol m’ont permis de transcender nos frontières culturelles et à quelques reprises de me croire à l’autre bout du monde. Le lundi, j’assistais au Forum mondial de théologie et de libération où nous avons d’abord été accueillis par une cérémonie amérindienne sur le territoire non concédé de la nation Mohawk.
J’apprécie profondément le caractère sacré de ces cérémonies qui témoignent du respect dû à chacunE et à la Terre-Mère. L’enseignement de l’homme médecine portait sur notre place dans l’univers aux côtés des autres créatures et du rôle de la femme comme référence essentielle et porteuse de sagesse pour la conduite des nations. Le patriarcat associé au colonialisme et au capitalisme y était vivement dénoncé. Des théologiennes féministes des quatre coins du monde ont ensuite dénoncé le patriarcat présent depuis les origines dans les grandes religions.
Les Autochtones des Amériques étaient l’une des composantes majeures du FSM. Par leur présence, ils nous rappellent l’errance de la civilisation occidentale qui entretient un rapport prédateur aux êtres humains et à la nature. Ils ont parlé de l’importance de décoloniser nos mentalités, de dépasser l’esprit de compétition et d’accaparement pour réapprendre à vivre selon des valeurs de coeur et de sincérité. Leur spiritualité bafouée depuis trop longtemps par la rationalité occidentale nous ouvre d’immenses possibilités de redécouverte du sens de la lutte, du partage, du respect et de la cordialité. « L’argent n’est pas tout et ma mère n’est pas à vendre », disait un guerrier Mohawk dans un atelier portant sur l’impérialisme interne au Canada.
Un atelier sur le racisme au Brésil m’a ouvert les yeux sur l’un des nombreux drames qui se jouent en ce monde et que l’animatrice a résumé en ces quelques mots : « Le système capitaliste est en guerre contre les pauvres et malheureusement, la pauvreté a souvent la peau plus foncée que claire. » Au Brésil, ce sont plus de 60 000 homicides qui ont lieu chaque année. Il s’agit d’une guerre non déclarée. De ce nombre, les trois quart sont de jeunes hommes noirs et la majorité sont victimes des balles d’une police formée pour réprimer et brutaliser la population des favelas. Un ex-détenu d’un pénitencier brésilien a confirmé ces propos en nous partageant son travail auprès des jeunes de Porto Alegre. Il utilise le Hip Hop comme méthode favorisant l’expression des difficultés et de la brutalité vécue par les jeunes de la rue.
Une conférence sur le Printemps arabe m’a permis d’observer l’attitude impérialiste des occidentaux présents dans la salle qui ne sont pas toujours conscients à quel point ils répètent les messages colportés par les médias qui orientent les nouvelles en nous désignant qui sont les bons et les méchants. Notre vision du monde demeure binaire. Si Maduro, Poutine ou Erdogan, sont présentés comme d’horribles dictateurs, l’Occident a le droit d’orchestrer des coups d’État pour les remplacer par des juntes militaires à son service. Les deux conférenciers égyptiens sont venu nous dire que n’importe quelle dictature éclairée est bien pire qu’un mauvais dirigeant élu démocratiquement et que le général Sisi est bien plus sanguinaire que le président Morsi, issu des frères musulmans.
J’étais assis aux côtés d’une jeune femme turque voilée qui s’exprimait très bien en anglais. J’avais débuté la conversation en m’efforçant de savoir si la tentative de coup d’État en Turquie venait de la gauche ou de la droite, des conservateurs ou des progressistes. Elle m’a gentiment répondu que ces catégories n’aidaient pas vraiment à saisir la complexité de la scène politique turque. Nous voyons le monde à travers le prisme déformant de nos médias qui nous inculquent l’idée que nos démocraties peuvent être imposées ou retirées aux autres peuples lorsque ceux-ci font de mauvais choix. Les gens du sud sont venus nous dire de les laisser faire leurs propres expériences et de cesser de nous immiscer dans leurs affaires.
Le FSM a aussi été parfois une expérience limite où des perspectives contradictoires s’opposaient, mais la plupart du temps dans le respect de ce que l’autre peut nous apprendre de ce monde que nous connaissons si peu. Je ne pouvais terminer cet article sans mentionner la présence à Montréal des filles de Berta Caceres, leader autochtone, féministe et écologiste, assassinée le 3 mars 2016 au Honduras pour s’être opposée à un projet hydroélectrique. Une murale à son honneur a été peinte sur l’une des places du FSM.