Le Service de la culture de la Ville de Québec a financé la réalisation d’une fresque sur la palissade du chantier entourant la démolition du Centre Durocher, et a fait, du coup, disparaitre le plus visible des graffitis critiquant la démolition du centre communautaire. Mais, « la contestation déborde de tous côtés », comme le souligne le sociologue de l’art, Guy Sioui Durand, en entrevue à Droit de parole.
Nathalie Côté
Depuis des années, la Ville de Québec a subventionné divers projets d’« art public », avec le collectif EXMURO notamment, pour dissuader les tagueurs et les graffiteurs. On pense à la fresque longeant la côte de la Pente douce ou aux interventions d’artistes sur les boîtes électriques le long des trottoirs de Saint-Roch. Il n’est donc pas étonnant de voir une fresque apparaitre devant le chantier de démolition du Centre Durocher. C’est un ouvrage éphémère qui sera sur place la durée du chantier.
L’artiste Pierre Bouchard a accepté le contrat du Service de la culture dont la commande était de réaliser une fresque illustrant les activités du parc Durocher. Il a réussi son travail. Sa fresque est colorée et en mouvement. Il faut dire cependant que les lettres stylisées, les « flops », tels qu’il les décrits, ce genre de tags qu’il a dessinés en noir à même la fresque, rendent difficile toute autre intervention à caractère politique par les citoyens. C’est d’ailleurs à s’y méprendre. On pourrait croire que des tagueurs sont intervenus sur la murale avec leur sempiternelles signatures sans message, mais cela fait partie de la fresque.
Pierre Bouchard assume son travail qui est dans le prolongement de son oeuvre, quoiqu’il ait été sensible aux critiques de ses pairs qui ont questionné son choix d’intervenir dans ce lieu politiquement chaud. Comme il nous l’a confié, s’il avait su que la situation était si délicate, il y aurait pensé à deux fois. Mais de toutes façons, si ce n’était pas lui qui l’avait faite, ç’aurait été un autre. Les artistes ont besoin de travailler. Pour Guy Sioui Durand, « comme l’intellectuel dans la cité, l’artiste est responsable. Il faut rappeler les mots des felquistes, les frères Rose : Êtes-vous coupable ? On est responsable. »
À part la fresque, cet art de rue : « ce qui déborde, selon Guy Sioui Durand, c’est la contestation. Aux deux bouts de la fresque, il y a les graffitis. On peut lire d’un côté : « le mur de la honte», et de l’autre côté : « non à la démolition ». Cela révèle qu’il y a une controverse, qu’il n’y a pas unanimité. C’est encore ce genre de débat que la démagogie brutale de l’administration Labeaume refuse. C’est la même non-démocratie dans le sens de non-débattre des choses et de refuser d’en parler. »
Pour le sociologue, la démolition du centre communautaire fera partie du bilan de l’administration Labeaume : «Autant la démolition du Centre Durocher que la démolition de la sculpture de Jean-Pierre Raynaud, [dans le vieux Québec en 2015], c’est le début de la fin de l’ère Labeaume. Tout ce qui touche à la culture, c’est le début de la fin pour Labeaume. Pourquoi ? Entre autres, parce que ça avait été la force du maire L’Allier. C’est lui qui a permis l’îlot Fleurie; c’est l’Allier qui a permis la première Manif d’art. »
Alors que les gens du quartier espéraient sauver le centre communautaire en le transformant en Maison de la culture, les autorités ont refusé d’en faire un lieu culturel. Mais ce n’est pas une première dans le quartier Saint-Sauveur : « C’est l’histoire qui se répète, rappelle Guy Sioui Durand, la chose la plus populaire dans le quartier Saint-Sauveur, c’était les sculptures sur neige lors du Carnaval sur la rue Ste-Thérèse [aujourd’hui la rue Raoul-Jobin]. Ils ont professionnalisé ça. Ils ont pris des artistes et ils ont tout monté en haute-ville, et ainsi on a tué la plus belle activité d’hiver du quartier. C’était les gens et la culture populaire par la sculpture. Tout cela pour faire un concours professionnel ». Il précise : « C’est le rapport entre la culture de la Basse-Ville et de la haute-ville qui a toujours défini Québec. Il y a une centralisation de la culture, pour la banlieue, pour un monde déconnecté, qui s’appelle la Grande-Allée. » Démolir un centre communautaire c’est, en effet, faire disparaître un autre pan de la culture populaire du quartier. « Ils ont manqué une occasion. Il y avait quelque chose à faire ici. Le Berlin de Québec, ça devait être ici… »
Certes, il y a une occasion manquée des autorités, mais la contestation de la démolition du Centre Durocher a aussi permis de tisser des liens entre les gens avec cette lutte urbaine du quartier, et elle a permis de démontrer qu’ils ne veulent plus n’être que les spectateurs de ce qui se décide en haut lieu, et certainement pas non plus, les spectateurs d’une culture de façade.