Par Francine Bordeleau
En une trentaine de brefs essais dont l’écriture s’échelonne de 2003 à 2016, Simon-Pierre Beaudet dit son horreur du monde comme il va.
Les textes regroupés dans Fuck le monde, recueil publié par la petite maison Moult Éditions, ont d’abord paru dans la revue La Conspiration dépressionniste, puis sur des blogues. D’aucuns, comme le fameux « Fuck ta Saint-Jean, Régis », ont circulé massivement sur les réseaux sociaux et procuré à leur auteur, professeur de littérature au Cégep Limoilou , une jolie notoriété.
Il n’empêche que pour Simon-Pierre Beaudet, « l’imprimé, c’est la seule valeur; le Web, ça ne vaut rien ». D’où sa décision de mettre fin à l’aventure des blogues et de réunir ses essais ‒ il déteste le terme « chroniques » ‒ dans ce livre tiré à 500 exemplaires. Le credo techno est d’ailleurs vivement décrié dans Fuck le monde, tout comme l’austérité, le Québec inc. version années 2010, l’amphithéâtre, le Mouvement Desjardins, la dénaturation du quartier Limoilou transformé en succursale du détestable Nouvö Saint-Roch ou encore, « l’hégémonie du restaurant en tant que pratique culturelle » assimilable à « l’état terminal de la culture ».
« Je suis révolté », dit encore l’essayiste. Révolté par la dictature de l’insignifiance et du productivisme, par l’actuelle misère intellectuelle, par les lieux communs que véhiculent les discours médiatiques, par la hideur aliénante et délétère de certains environnements urbains, lira-t-on tout au long des quelque 270 pages qui composent l’ouvrage.
Simon-Pierre Beaudet tire sur tout cela qui l’insupporte, et généralement frappe fort et juste. Il a, plus que simplement des idées, une réflexion, c’est-à-dire une perspective et une profondeur de vues, malgré les apparents raccourcis que laisserait supposer son fuck. Ses essais sont des révélateurs de notre mode de vie, de ce mode de vie décliné à l’aune des valeurs travail-argent-loisirs au premier chef, et si bien intégré qu’il nous apparaît normal, inévitable, immuable. Intrinsèque.
Simon-Pierre Beaudet est, on l’aura compris, un anticapitaliste. Et un utopiste, peut-être bien. Reste que dans un texte écrit vers 2005 (c’est, avec l’absence de révision linguistique en profondeur, l’une des lacunes du livre : les dates exactes ne sont pas données), il conspuait les « arrivistes » de Génération d’idées (GEDI), un groupe formé de jeunes de 20 à 35 ans qui « se propose de faire avancer une société qu’il faut plutôt détruire ». Détruire la société telle qu’elle est, et non pas la rêver : voilà assurément, in fine, l’essentiel du propos de Fuck le monde.
Fuck le monde, parce que le monde ne tourne pas rond. Parce que l’être humain ordinaire (la quasi-totalité d’entre nous, en somme) se voit confronté à cette terrible violence qui est de s’accommoder d’un monde si peu fait pour lui. Nous en avons ici l’implacable démonstration. Et par surcroît, si, dans la première partie du recueil (période 2003-2007), l’auteur pèche parfois par excès de rhétorique, le ton est, plus souvent qu’autrement, vif et décapant. Chez Simon-Pierre Beaudet, le stylet se manie avec style et les lettres ne sont pas qu’un vernis.