Par Kevin Ouellet
L’arrivée d’Internet et des médias de communication mobiles a bouleversé de fond en comble notre vie sociale. Après avoir connu des réseaux d’échange de données en peer-to-peer comme Napster, nous connaissons maintenant des réseaux en temps réel d’échange de services et de partage en tous genres tels que : Uber, Amazon ou Kickstarter. Alors que plusieurs réseaux favorisent effectivement le partage ainsi que la réduction des coûts de transaction et d’échange au bénéfice des usagers, l’économie de partage est fondamentalement une puissante machine financière. Pour bénéficier aux usagers, ces réseaux doivent encore reprendre leur place comme activité de nos communautés. Le cas de l’économie locale à Québec pourrait largement dévoiler le potentiel écologique et solidaire du modèle.
L’économie de partage… partout!
Il ne faut donc pas s’illusionner des appellations telles qu’«économie de partage» ou « économie en P2P » (peer- to-peer). Il s’agit bel et bien d’économie. »Cette machine fonctionne grâce aux réseaux sociaux et au pouvoir économique des individus des centres urbains ou régionaux qui sont en mesure de rentabiliser leurs biens et leur temps en les transformant en services sur le web. » On peut ainsi en dire qu’il s’agit d’un modèle économique ancré dans la vivacité du quotidien et de la culture.
L’économie de partage progresse rapidement. Révolutionnant les façons de faire en matière d’échange et d’organisation des communautés, l’économie de partage devient, depuis dix ans, la norme dans les réseaux locaux. Alors que les comptoirs de solidarité ont servi d’intermédiaire principal à l’échange de biens usagés, Kijiji, par exemple, a pris le relais en ce qui concerne la part la plus importante pour le ré-usage des biens de bonne condition. Les lieux sociaux d’échange, de l’Accorderie à nos fameux comptoirs de solidarité, se trouvent ainsi mis au défi de se réinventer pour ne pas s’épuiser du manque de diversité participante et d’un «dernier recours» difficile à offrir.
Contrairement à l’impression négative que peuvent susciter mes propos, l’économie de partage constitue une grande opportunité sociale. Les réseaux permettent en effet de maximiser les biens et les bénéfices des usagers, ils relient massivement les individus et ils fournissent une grande flexibilité pour mener des activités ancrées dans une vie sociale riche. Alors, de quoi se méfier? Ce dont il faut se méfier, c’est que l’économie de partage apparaît parallèlement à un courant économique stylé à la techno-culturel, soutenant une vision des réseaux séparée des communautés de vie. Il faut donc être critique, car cet enjeu sera déterminant dans la réinvention des villes technologiques dominantes à l’échelle globale. Dit en d’autres mots, le développement de l’économie de partage est traversé par une dynamique financière que l’on a à renverser au profit des localités.
Alors que les villes passent du statut d’architecture nationale à celui de pôles de développement, les villes elles-mêmes deviennent des réseaux à configuration variable faisant converger le développement économique local et régional. C’est ainsi, par exemple, que l’on peut comprendre les enjeux du développement des parcs technologiques et du centre urbain affairiste de la Vieille Capitale. Au cœur de cette convergence, le pouvoir logistique des réseaux de l’économie de partage étend le développement des organisations dans un espace virtuel sans limite. On peut déjà constater que ces possibilités sont envisagées avidement par la consolidation rapide des marchés technologiques de la « ville intelligente » (voitures autonomes, plateformes mobiles, etc.). Ceci n’ira pas sans engendrer des inégalités économiques et technologiques importantes. Pour que ce modèle puisse profiter à tous dans nos localités, il faut développer les outils adéquats et mener, peut-être un peu malgré nous, la course de l’économie locale.
Ce qui m’intéresse donc ici est de relever notre situation comme citadins afin de montrer des pistes de réflexion. Je crois ici qu’il est possible de bénéficier de ce mouvement et qu’il serait souhaitable d’engager le travail citoyen au sein des quartiers engagés de la ville de Québec. Le motif est d’initier notre propre chantier et de tenir par là une position privilégiée pour l’autonomie économique et décisionnelle de notre vie communautaire. À cet égard, il est bon de faire mention que le quadrilatère de la Basse-ville/Limoilou est choyé de ses atouts pour faire valoir son intégrité urbaine et servir de milieu économique « durable ». Nos principaux domaines de dépenses y sont en effet bien couverts.
Selon trois grands axes, notre Table d’économie sociale encourage ici de nombreuses coopératives innovantes, les réseaux de partages tels que Communauto ou La Ruche consolident nos ressources et, finalement, le secteur communautaire continue de soutenir l’émergence des causes citoyennes. Par l’entrelacement des différents secteurs de notre localité, une véritable culture d’économie de « partage » locale préexiste au cœur des réseaux locaux émergents et de leurs façons de conjuguer les atouts disponibles. On retrouve cette culture, par exemple, lorsque l’on réutilise les biens d’organismes locaux afin de produire à valeur ajoutée des biens recyclés abordables (Vêtements Gaïa), ou lorsque l’on établit une logistique de transport entre transports individuels et collectifs (Vélocentrix, Communauto, etc.). Si déjà on connaît plusieurs de ces expérimentations, il ne faudrait pas y limiter la réflexion. Puisque l’enjeu y est économique, il faut pouvoir envisager notre position à travers et par-delà les grands bouleversements.
Pour faire court à propos des nombreux enjeux (et reprendre quelque part la cartographie québécoise effectuée par Ouishare), les secteurs où l’on pourrait insister sont précisément ceux de l’échange, de la logistique et du développement technologique. Les grands développements étant issus présentement des États-Unis, on doit faire face à l’isolement linguistique et culturel. Notre autonomie est alors en bonne partie liée à notre capacité de produire/partager nos plateformes mobiles et éviter de se montrer vulnérable aux innovations monopolistes. Pour arriver à ce but, il faudra parcourir ces enjeux tels qu’ils se donnent.
À l’heure actuelle, il faut valoriser la réflexion stratégique dans le développement de nos communautés de quartier et s’engager auprès des groupes moteurs locaux au renouvellement commun des organismes touchés. Ceci se fait évidemment en demeurant fidèle à l’esprit vivant du partage que nous avons approfondi jusqu’à maintenant. En misant sur la consolidation de l’expertise locale et du mouvement entrepris, les sentiers pour s’organiser conjointement pourront se dégager alors que les acteurs se reconnaîtront face aux enjeux généraux. C’est de la sorte qu’il me semble que l’on puisse préserver la position et la jurisprudence locales dans les prochains développements technologiques. Il n’y a que la collectivité pour triompher en chacune de ses particularités, par l’investissement concret et réel de tous, face à l’immense finance globale désœuvrée.