Par Renaud Pilote
Trois pancartes apparaîtront sans crier gare. On se réveillera un matin et elles seront là, implacables. Pour une durée de quinze jours, il sera défendu de se stationner devant elles. Celui qui a téléphoné à la ville pour obtenir trois pancartes devant chez lui aura été le plus malin, point. À nous d’en prendre bonne note. Pendant cette période, il y aura bien un petit travail de fait sur une façade, mais rien pour justifier une si longue période d’interdiction. Peu importe, les pancartes auront le dernier mot et ça ne servira à rien de leur en vouloir, les règlements sont les règlements. Faites de bois et de teinture orangée, leur constitution est simple, et elles seraient plutôt faciles à démolir. Un tel geste irait cependant à l’encontre du fait que vivre en ville, c’est avant tout apprivoiser les incessantes contraintes décrétées par les pancartes.
Soixante mille pancartes apparaîtront sans crier gare. On se réveillera un matin et elles seront là, immanquables. Pour une durée de deux mois, il sera défendu de dessiner des moustaches dessus. On aura beau téléphoner aux partis politiques pour leur supplier d’arrêter de placarder toutes ces pancartes sur d’insignifiants poteaux, rien n’y fera. Pendant cette période, il y aura bien quelques petites fluctuations dans les sondages, mais rien pour justifier un tel tsunami de faces laides. Peu importe, les pancartes auront le dernier mot et ça ne servira à rien de leur en vouloir, la loi électorale est la loi électorale. Faites de plastique et de tie-wraps, leur installation est mal foutue et elles seraient plutôt faciles à démantibuler. Un tel geste irait cependant à l’encontre du fait que vivre en démocratie, c’est avant tout accepter le désagrément d’élections presque continuelles et imposées par tous ces politiciens que l’on n’aperçoit, finalement, que sur ces pancartes.
Un million de pancartes apparaîtront sans crier gare. On se réveillera un matin et elles seront là, imperturbables. Pour une durée indéterminée, il sera défendu de les brandir trop haut dans les airs. On aura beau téléphoner à la police pour leur dire que toutes ces pancartes font beaucoup trop de bruit, elle aura à ce moment d’autres chats à fouetter. À nous d’en prendre pour notre rhume. Pendant cette période, il y aura bien quelques escouades antiémeutes appelées en renfort, mais rien pour apaiser l’écœurement général de la population. Cette fois-ci, les pancartes auront le dernier mot et ça ne servira à rien de leur en vouloir, la loi des grands nombres est la loi des grands nombres. Faites de colère et d’espoir, les pancartes sont bien souvent empreintes d’humour assassin et ce serait plutôt facile de les prendre à la légère. Une telle attitude à leur égard irait cependant à l’encontre du fait que vivre en société, c’est avant tout être tenu d’exercer son devoir de citoyen en dénonçant les injustices à l’aide de pancartes.
Une seule pancarte apparaîtra après avoir plusieurs fois crié gare. Un matin, on ne se réveillera pas et elle sera là, inévitable. Sise sur le bord de cette route décrépite, elle ressemblera à ces pancartes typiques des westerns américains. Personne ne sera là pour lire ce qu’elle affichera : « Planète : Terre. Population : 0 ».