Par Renaud Pilote
Je suis le condominium. J’arrive en ville (downtown, baby!). J’ai déjà tout pour moi : je suis jeune, propre, de luxe, j’ai un stationnement souterrain et une vue sur le fleuve (thug life, mofo!). Avant de me mettre à chercher qui aura le bonheur de venir habiter chez moi, je vais rejoindre les copains, mes pairs (don’t you screw the crew, yo!) pour quelques pas de danse sur la Grande-Allée (grab them by the pussy, lol!).
Je suis prestigieux. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est écrit tel quel sur la pancarte au pied de ma tour. Adepte du beau langage et des dernières modes, j’ai en horreur les plaisirs médiocres de tous ces péquenauds de ville qu’il faudrait renvoyer en campagne (white trash rules). Considérant la position avantageuse occupée par mon promoteur aux yeux des hauts placés de la ville (can’t wait to reelect them), que ma venue ait été favorisée au détriment d’un projet de coopérative d’habitation est tout à fait dans l’ordre des choses. Certains s’en scandaliseront, mais c’est là un problème dont je n’ai pas le temps de m’occuper pour l’instant (who’s your daddy, bitch?).
Présentement inoccupé, je ne m’en porte pas plus mal: la solitude me sied bien, et l’ermitage me donne un sex-appeal certain (so hot right now!). Voyez-vous, je ne suis pas fait pour être habité. Techniquement oui, bien sûr, mais ce n’est pas ma vocation profonde, moi l’oisif débonnaire à la recherche de sophistication absolue. L’idée que je me fais du bonheur s’apparente au calme infini du silence intersidéral (just sick, bro!). Je ne veux pas courir le risque de me faire acheter par un gagnant de loterie exalté ou un mafieux turbulent. Alors je me constitue un profil bas (AKA low profile. LMFAO), je me prétends abordable au commun des mortels et j’espère la perle rare, l’acheteur parfait, celui qui m’habitera peu ou prou, celui qui n’y cuisinera pas et qui n’aura ni chien ni enfants. Je ne peux rien vous cacher, vous l’aurez deviné: le proprio de mes rêves est le spéculateur (OMG I said it!). Je suis une bulle dans la ville et, comme tout le monde, je n’apprécie pas qu’on entre dans ma bulle… immobilière! Dieu que mon humour est subtil (not!).
Dernière chose, vous l’aurez peut-être remarqué, mais je dois composer avec un syndrome de la Tourette pour le moins particulier. Voilà pourquoi je débite dans la langue de Shakespeare (yeah, right!) toutes ces vulgarités entendues ou lues sur les réseaux sociaux. C’est plus fort que moi. Je fais des démarches pour me soigner, car de telles manières pourraient finir par attirer des indésirables (watch out for the douchebags, man!) et cela nuirait à mon susnommé prestige (fucking too late, dude!).