Par Pierre Mouterde
Comme beaucoup d’autres, on s’est impliqué à Droit de Parole dans la défense du Centre Durocher et dans le projet de le voir se transformer en un centre culturel mis au service des habitants de Saint Sauveur, si souvent oubliés. Et comme beaucoup on a été profondément attristé – à en rager intérieurement — par sa démolition. Ayant bien de la peine à comprendre comment une telle mobilisation collective – portée par les efforts acharnés de quelques militants et militantes remarquables — n’avait pas pu faire changer d’idée le maire Labeaume et ses conseillers. Aussi faut-il bien chercher à comprendre ce qui s’est passé, et pourquoi nous n’avons pas réussi – de tous nos efforts conjugués — à empêcher cette démolition !
Car il faut le noter, ce ne sont pas les appuis de la base qui ont manqué. Rappelez-vous: une pétition de plus de 2000 noms avait circulé; et plus de 200 artistes, 50 commerces et 15 organismes communautaires avaient soutenu la cause. Sans même parler du soutien du Conseil de la culture de Chaudière Appalaches ainsi que de personnalités originaires du quartier comme Alain Beaulieu, Viviane Labrie et François Saillant. Et bien sûr, celui de la congrégation des Oblats. Pourquoi malgré tout, malgré la justesse des demandes, malgré tous ces soutiens, et le travail acharné des derniers mois du Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint Sauveur (CCCQSS), le maire n’a pas reculé?
Certes, on pourra évoquer l’intransigeance capricieuse du maire, ou encore ses discours manipulateurs et démagogiques, son mépris pour la basse-ville et le quartier Saint Sauveur, ou encore la lâcheté de ses conseillers, ou plutôt conseillères, tristement aux ordres. Mais on ne peut pas en rester là: on le sait bien, la force d’une autorité dépend toujours aussi de la faiblesse et des propres fragilités de ceux et celles qui cherchent à lui faire face. En ce sens, il faut aussi savoir se regarder soi-même, et il est impossible de ne pas voir que le mouvement communautaire et citoyen de la ville de Québec — pris comme un tout — se trouve confronté à un contexte sociopolitique particulièrement difficile.
Qu’on le veuille ou non, on n’est plus au temps du Rassemblement populaire (RP) et d’un maire aux a priori minimalement progressistes, alors qu’il était possible, depuis la base des organisations du mouvement communautaire ou populaire, de faire remonter avec succès jusqu’au sommet, quelques-unes de ses demandes ou revendications.
Autrement dit, la culture du compromis, de la négociation-concertation — surtout celle qui, derrière des portes closes, a fini par s’imposer dans une bonne partie du mouvement communautaire — ne fonctionne plus, n’est plus à l’origine d’aucun gain notable. Nous rappelant, qu’avec le maire Labeaume, les vieilles pratiques d’antan ont bien peu d’effets sur les froids rapports de force politique.
Et il faut le dire, c’est ce qu’une partie de la direction du CCCQSS a mis longtemps à comprendre à propos du Centre Durocher. En se contentant de promesses minimales et en préférant ne pas se lancer dans une lutte franche et ouverte. Ce qui fait qu’elle a mis bien longtemps à réagir et à faire de cette affaire une affaire d’envergure qui concernait démocratiquement tout le quartier. Et quand elle l’a fait, c’est après que des habitants du quartier, et surtout une poignée de militants et militantes, l’ont poussée à le faire à partir de décembre 2013. Comme si elle peinait à retrouver cette exigence de la lutte collective qui est pourtant au cœur de toute action citoyenne.
Et dans un sens, on la comprend. Car sur cet enjeu précisément — celui du logement social et de l’aménagement urbain — le mouvement populaire et communautaire reste aujourd’hui profondément divisé et fragmenté, ayant de la peine à combiner au cœur de nos villes, la nécessité évidente de logements sociaux, avec un aménagement urbain qui reste convivial, diversifié et qui surtout permette l’existence de lieux collectifs de vie, comme par exemple… un centre culturel.
C’est sans doute pourquoi le CCCQSS n’a pas reçu tous les appuis décisifs qu’il aurait dû recevoir et qui, compte tenu de la portée symbolique de cette démolition annoncée, aurait pu faire toute la différence. En fait, ce dernier s’est trouvé –politiquement — assez isolé, sans jamais que cette lutte puisse devenir la lutte de tout le mouvement communautaire, celle du REPAC, du FRAPRU, etc. Sans jamais non plus recevoir les soutiens politiques actifs qu’elle méritait: ceux de Démocratie Québec ou encore d’Agnès Maltais du PQ.
On le voit, ce rapide retour sur la démolition du Centre Durocher et sur l’impossibilité que nous avons eu de l’empêcher, nous ramène à des questions de fond vis-à- vis desquelles on ne pourra plus faire l’économie d’une réflexion approfondie. Et à Droit de Parole, nous voudrions lancer le débat à ce propos, cet article étant une première tentative en ce sens. N’en va-t-il pas tout simplement de l’avenir des luttes urbaines à Québec ?