Florence Moreault est allée manifester le 24 mars 2015, devant l’Assemblée nationale, comme des centaines d’autres, à l’appel de l’ASSÉ (Association syndicale pour une solidarité étudiante) qui entendait dénoncer le budget d’austérité du gouvernement.
Rappelons la répression de la manifestation qui s’est terminée en deux souricières et plusieurs blessés. Les personnes arrêtées ont toutes reçu une contravention en vertu de l’article 19.2, que plusieurs ont contesté.
Un recours collectif a dès lors été engagé contre la Ville de Québec pour atteinte au droit de manifester pacifiquement. C’est Florence Moreault qui a été désignée pour représenter le recours collectif. Elle nous fait part de son expérience.
«Je venais de terminer mon bacc et je prenais une année de pause avant d’entrer à la maîtrise. J’avais donc du temps pour me consacrer aux premières étapes du recours collectif. J’ai pu compter sur le soutien de quelques personnes aussi impliquées dans le recours et donc je ne suis pas toute seule là-dedans.»
Florence Moreault explique que les procédures et le vocabulaire juridiques sont lourds et complexes, pour qui n’est pas juriste. C’est un engagement à long terme, un recours collectif, et elle n’est pas près de la fin. Au départ, c’est une tâche lourde et complexe. Il fallait faire la reconstitution des événements du 24 mars 2015, comportant deux souricières, donc deux séquences d’événements différents à replacer.
«Ça exige une grande disponibilité et une certaine flexibilité, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Je suis heureuse d’avoir réussi à terminer l’autorisation du recours collectif avant d’être retournée à l’école ; honnêtement, je ne sais pas comment j’aurais pu y parvenir avec des cours en même temps.»
Le rôle de Florence Moreault est de représenter les 274 personnes qui ont été arrêtées le 24 mars 2015 au soir. Rassembler les témoignages, saisir les attentes des personnes, et assurer la circulation de l’information entre elles, leur avocate et la Ville de Québec.
Le fait de représenter 274 personnes devant les tribunaux représente un important facteur de stress : «Si c’était pour moi seule, ce serait différent, mais savoir que je suis en charge d’un dossier qui touche directement des dizaines de personnes, et qui pourrait avoir un impact important sur la manière dont les manifestations sont encadrées à Québec… C’est un dossier très imposant.»
Florence Moreault explique aussi comment le fait de devoir passer par la voie légale pour se faire entendre est un gigantesque obstacle, en soi, au droit de manifester. «C’est un monde à part, le monde judiciaire, extrêmement hermétique et difficile d’accès pour toute personne qui ne détient pas de formation dans le domaine, dit-elle. En ce sens, ça décourage beaucoup de personnes de s’embarquer dans des poursuites. Et c’est dommage.»
Le groupe a pris une avocate, et a dû aller requérir un soutien financier au Fonds d’aide aux recours collectifs. Il prévoit aussi des activités de financement. Comme explique l’étudiante : «le fait d’avoir pris une avocate nous épargne certaines difficultés, mais nous en rajoute d’autres.»
Puisque ces recours s’étirent sur des années, cela complique la tâche des requérantes et de leur représentante. Peu de temps après une manifestation réprimée, l’indignation et la mémoire des événements sont au plus fort. Mais plusieurs années après, comme explique Florence Moreault, la situation est différente : «La lenteur du processus judiciaire est désespérante, et c’est épuisant à la longue. (…) Quand j’ai annoncé que j’avais impérativement besoin des témoignages, j’en ai reçu une tonne. Le problème, c’est que le prochain événement important sera sans doute le procès, qui pourrait avoir lieu dans plusieurs années… Certes, je suis encore choquée quand je relis les témoignages ou quand j’y repense, mais j’avoue que le temps joue contre nous.»
En somme, Florence Moreault se dit confiante de gagner cette cause. «Je finis toujours par me dire que je ne fais pas ça en vain, qu’on va gagner et que ça va donner un grand coup dans la lutte pour le droit de manifester. La Ville et les forces policières ont gagné ce soir du 24 mars 2015, parce qu’elles ont stoppé la manifestation avant même qu’elle ne commence. Les gens ont eu peur, et ils ont eu peur de retourner manifester. Mais n’oublions pas que d’autres y ont trouvé une énergie nouvelle pour s’engager dans la lutte pour préserver le droit de manifester. Je fais partie de celles-là.»