Du 21 au 29 octobre s’est déroulé le Festival Québec en toutes lettres. De nombreuses activités ont eu lieu sous la thématique « Écrire Québec », explorant la présence de la ville de Québec dans la littérature jeunesse, le roman, la poésie, les arts visuels, le conte, la nouvelle ainsi que la bande dessinée. Nous avons assisté à trois événements de ce festival de littérature dont c’était la huitième édition cette année.
Le tronçon de la rue Saint-Joseph situé devant la bibliothèque Gabrielle-Roy était animé le 24 octobre dernier, en début de soirée. Pour inaugurer la projection de la vidéo #taville sur le mur extérieur de la bibliothèque Gabrielle-Roy, une brigade de neuf slameurs ont arpenté la rue Saint-Joseph : Léo Coupal, Flavie Dufour, Thomas Langlois, Pascal Larouche, Geneviève Lévesque, André Marceau, Hélène Matte, Véronica Rioux et Dominique Sacy.
Les poètes abordaient les passants chacun à sa manière. « Je peux vous dire un slam? », « Je peux vous lire un poème? » En cas de réponse positive, le flot des mots se répandait dans la rue autour d’eux. Et les autres passants, étonnés, assistaient à ce spectacle-minute en plein air, autant que celui ou celle qui avait accepté la proposition au départ.
La projection #taville, qui a été visible jusqu’à la clôture du festival le 29 octobre, montrait différents édifices de la ville de Québec sur lesquels ensuite se superposaient des graffitis créés par plusieurs illustrateurs. On pouvait donc voir sous un jour nouveau l’architecture de Québec. Le résultat était saisissant au point où plusieurs se demandaient si les graffitis étaient réels – le paysage de Québec en aurait été profondément modifié. À défaut de l’être dans la réalité, les images saisissantes restent gravées en mémoire.
Le 25 octobre dernier, sur la scène de la Maison de la Littérature, la poésie était politique. Ce qui n’excluait nullement la profondeur du sentiment, ni l’humour d’ailleurs.. Les trois poètes acadiens Gabriel Robichaud de Moncton, Jonathan Roy de Caraquet et Sébastien Bérubé d’Edmundston ont mêlé leurs voix et leurs accents pour nous parler de l’Acadie multiple et pourtant unie dans leur spectacle Manifeste scalène.
Les « gens de ma province, celle que je connaissais […] avaient pas peur de voir plus loin mais y avaient peur de perdre c’qu’y avaient en-dessous des pieds, a lu Sébastien Bérubé. Y tapaient la trail, tapaient du pied, tapaient fort, tapaient souvent pour laisser une trace, leur trace ».
La province de ces trois poètes, le Nouveau-Brunswick, inspire tous les textes de ce manifeste territorial pourtant scalène, comme le triangle à trois côtés inégaux. Un manifeste issu de trois espaces différents même s’ils sont proches. De trois voix aussi, différentes, oui, mais surtout actuelles.
« Tu cliques, click here, tu cliques, click here, tu cliques », clame Jonathan Roy, exprimant à la fois le bilinguisme et le cycle sans fin des liens sur le web qui s’est implanté aussi fermement en Acadie qu’au Québec. Les liens de l’ancienne province dont on s’ennuie, celle qu’on ne peut comprendre que si on l’a connue, deviennent des liens réseautés.
Ce n’est pas le seul point commun qu’on se trouve en écoutant les poètes acadiens. Gabriel Robichaud en souligne un en rappelant les origines colonisatrices du peuplement européen en Acadie comme au Québec. « À cause qu’on a rien contre les immigrants / à cause qu’on est tout’ somewhere, somehow, des maudits colons / à cause que c’est d’même qu’on s’est ramassés icitte / à cause qu’on a fini par appeler ça che’nous / à cause qu’y fallait ben / c’est tout c’qui reste au bout du monde des fois ». En route, les poètes, pavant la voie – ou la voix – pour la performance Fuites – Les pipelines se couchent à l’est, parlent de la lutte contre les gaz de schistes, une lutte commune au Québec et à l’Acadie.
Une autre lutte commune est celle qui s’est tenue récemment contre le pipeline Énergie Est, un projet récemment abandonné par TransCanada. Dans son allocution d’ouverture, Hélène Matte explique l’origine de Fuites – Les pipelines se couchent à l’est : « Le spectacle […] a été créé au mois de mars […] lors d’une résidence de création. […] On avait cinq jours pour faire une présentation qui allait justement se dérouler sur scène cinq jours plus tard, le vendredi soir. »
Fuites avait été présenté la première fois au printemps. C’est donc une deuxième mouture que nous présentaient le 25 octobre dernier Hélène Matte, Dominic Langlois, Jonathan Roy et Karl Picard-Sioui, « traç[ant] un couloir entre le Québec et le Nouveau-Brunswick » pour réussir poétiquement là où TransCanada a dû reculer, heureusement.
Un des moments rassembleurs de Québec en toutes lettres a été la Nuit de la poésie du 26 octobre. Nora Atalla a fondé cette soirée conviviale en 2009 et l’anime chaque année depuis. Se terminant à minuit, c’est une courte nuit au fil de laquelle 26 poètes ont donné de leurs vers pour tisser une toile de poèmes. Pour n’en nommer que quelques-uns, Valérie Forgues, Michel Pleau, Julie Stanton, Erika Soucy, Jacques Ouellet, Mireille Gagné, Jonathan Roy, Anne Peyrouse, Dominic Langlois, Éric LeBlanc et Jean Désy, des poètes d’ici et d’ailleurs, établis ou de la relève, ont lu leurs textes, parfois accompagnés des musiciens jazz Michel Côté et Pierre Côté.
Erika Soucy parle de la condition de la femme en mettant en mots un rapport douloureux, voire violent, entre homme et femme. « Serre le choke et traîne-moi partout / laisse-moi être / laisse-moi être ton toutou » démarre-t-elle. Sa manière choquante ne laisse pas indifférent, mais une chose est sûre : les femmes ont de près ou de loin un rapport avec ses mots durs qui disent souvent crûment une réalité qu’on voudrait éviter de dire, et surtout d’entendre. « Je commande au ciel / un accident de char », lit-elle.
Sa poésie rend compte hardiment de la situation du corps de la femme dans la société. Pas seulement anatomique, pas non plus seulement pornographique, mais habité et surtout séducteur, même si cela ne signifie pas qu’il soit esthétique, le corps et ses décorations, maquillage, vêtements, teintures, Erika Soucy le campe dans ses mots, le raille, puis le fait « partir en vacances », vers un ailleurs, peut-être, où les femmes pourront s’appartenir.
Mireille Gagné, quant à elle, propose une poésie de l’intérieur: « derrière les yeux je suis friable ». Elle exprime le mal-être de ce qui nous remplit en nous écorchant, des rapports entre les humains mais surtout avec soi-même : « nous sommes tous coupables de retenir la solitude », ou encore « certains nœuds ne peuvent pas se défaire ».
Son style légèrement surréaliste, aux images surprenantes, transporte dans un univers psychique souffrant et pourtant situé avec beaucoup de précision, ciselé dans un tissu de mots disant ce qui, dans la vie de tous les jours, demeure sous silence. Ses vers posent avec de plus en plus d’insistance la question de la masculinité. Qu’est-ce qui fait d’un homme un homme? « Ne laissez jamais un homme seul avec un ours / personne ne pourra dire à qui appartient le sang », constate-t-elle.
Michel Pleau prend plaisir à lire des passages d’un bestiaire écrit, dit-il, l’été dernier sur son balcon. « [Le chien] et moi on se comprend. On ne lit pas de roman, mais la ligne des arbres », lit le poète avec un sourire.
Cette 8e édition du festival Québec en toutes lettres s’est révélée haute en couleur, à la hauteur de ses intentions de surprendre et de faire vivre l’inopiné en littérature. Les perspectives multiples que le festival a proposées ont certainement réveillé l’envie d’écrire chez plusieurs, et l’envie de sortir ses textes du tiroir, chez les autres.