Décidément, il se passe des choses sidérantes à Labeaumeville : par exemple le fait que depuis un sinistre soir de janvier 2017, le racisme y soit devenu un sujet chaud. On l’a constaté une fois de plus ce samedi.
Ce samedi 25 novembre, le fief de Régis Bonaparte, homme verticalement un peu bref néanmoins doté d’un charisme largement déverrouillé, s’est retrouvé quasiment en état de siège. La colline parlementaire grouillait de policiers dont le nombre a augmenté de minute en minute sur le coup de midi et était survolée par un hélicoptère.
Les autorités craignaient une réédition des événements du 20 août, commentés à qui mieux mieux par le gouvernement ainsi que par les premier, deuxième et troisième partis d’opposition, et avaient pris des mesures pour l’éviter.
Samedi, donc, les groupes identitaires de droite Storm Alliance et La Meute ont manifesté comme prévu contre le Parti libéral, réuni à Québec au Centre des congrès, en réaction au forum sur la diversité et au projet de loi sur la neutralité religieuse du gouvernement Couillard. De leur côté, des groupes de gauche antiracistes et antifascistes s’étaient rassemblés tout près, en face du Parlement, à compter de 11 h.
La contre-manifestation devait se terminer à midi, heure à laquelle les militants de la Storm Alliance et de La Meute étaient autorisés à investir les lieux.
Les contre-manifestants encore présents à midi se chiffraient à combien? Cent cinquante? Deux cents? Rien pour écrire à chez nous, en tout cas. Et sur ce nombre, une quarantaine d’arrestations, selon les sources policières.
Aux environs de midi, le site de la contre-manifestation se présentait de la façon suivante : devant le Parlement, une escouade anti-émeute comprenant une bonne vingtaine de policiers; en face de l’escouade, une sorte de commando trônant en haut, sur les remparts, et constitué de membres d’Atalante Québec, nettement un groupe d’extrême-droite. Comment avaient-ils pu accéder aux remparts, d’ailleurs?
Entre les deux, les contre-manifestants qui avaient décidé de rester à leurs « risques et périls ».
J’étais là.
Je regardais tout autour.
L’escouade anti-émeute qui me fait face. Le « commando » à l’allure menaçante, franchement épeurante même, sur les remparts. Au fait comment ces gens avaient-ils pu parvenir jusque-là? Mystère. L’hélico qui vrombit dans le ciel. Les policiers juchés sur le toit du Hilton, qui abrite le Centre des congrès (un édifice de plus de 20 étages). D’autres policiers installés à quelques étages du sol.
Des slogans du genre « La police, pour les riches et les fascistes ». Peut-être pas très sophistiqué sur le plan du vocabulaire, mais il y avait du vrai là-dedans samedi.
Et une scène surréaliste, loufoque. Autour de 12 h 15, les policiers anti-émeute se mettent à courir en direction du boulevard René-Lévesque, vers les autres manifestants. Deux joggeurs égarés courent derrière eux. Se rendent comptent qu’ils n’ont pas d’affaire là et changent de trottoir.
Pendant ce temps, la Storm Alliance et La meute avancent. Il y aura un très bref face-à-face gauche-droite. Mais l’escouade anti-émeute intervient rapidement. La stratégie des policiers est de refouler es contre-manifestants vers une direction qu’eux ont choisie.
Ils chargent, et on n’a pas d’autre option que de suivre le mouvement de fuite en avant.
Il tombe une pluie glacée. On est trempés, transis de froid, et enfermés dans un périmètre. Les rues transversales à René-Lévesque et Grande Allée sont bloquées par les forces de l’ordre.
Une amie (manifestante d’expérience, je souligne, donc elle en a vu d’autres) et moi interpellons un policier : « On veut juste rentrer chez nous. Pourriez-vous nous laisser passer? » Nous ne sommes que deux, je suis d’âge canonique et la pluie froide sur mes cheveux clairsemés me donne l’apparence d’une femme chauve. Ma Dalton a l’air pas mal plus dangereuse que moi!
Lui de répondre : « Trop tard, il fallait y penser avant. »
Plusieurs d’entre nous ont dû suivre les chemins cahoteux et verglacés des plaines d’Abraham jusqu’à la rue Claire-Fontaine, sinon Turnbull.
Bon, j’ai l’air de me lamenter. Les réfugiés ou, comme on dit maintenant, les populations déplacées, sont contraints à des itinéraires autrement plus périlleux.
Certains d’entre eux croient que notre bourgade pourrait être un endroit où continuer à vivre en paix et en sécurité.
Aux Canadiens, États-uniens, Français, Britanniques, Allemands, etc., ils pourraient rappeler aussi que les États démocratiques ont une dette séculaire à l’égard de plusieurs pays, pour y avoir alimenté le chaos en fournissant de l’armement ou en imposant des mesures économiques aberrantes. Et que les ordis, les téléphones, la maroquinerie, les jeans vendus à l’Occident blanc sont fabriqués non seulement avec leur sueur, mais aussi avec leur sang.
Or tout ce qu’ils font, c’est demander un droit d’asile.
Comme chantait Marjo à la fin des années 1980 : « Des fois j’me d’mande c’est qui les sauvages. »