Aria de Laine de Meb Ça a commencé comme ça : le Français Louis Hémon, fraichement arrivé à Péribonka, a esquissé les traits grossiers des Canadiens.nes français.es et a accouché d’une fiction qui a fait école, Maria Chapdelaine. On dit qu’il eut envisagé Maria Chapdeplomb, mais l’éditeur tâtillon aurait usé d’un veto autoritaire pour l’en empêcher. Bref, un roman, qui à défaut d’avoir été lu, a fait histoire. Marie-Ève Bouchard (aka MEB), a-t-elle même en sa possession le tirage de 1953 paru chez Nenufar ? On ne sait pas pour quelle raison — encore et toujours ! — Moult Éditions ont délié les codes de la bourse pour en tirer un exemplaire à peu près similaire à celui qu’on a tous vu à l’occasion chez les bouquinistes : même couleur, mêmes ornements kitchs, on a respecté la fioriture, c’est du pareil, en mieux.
Ma foi, chapeau bas, car tout bascule lorsqu’on ouvre le bouquin. On eut dit un mémo de la Maison Blanche caviardé par Trump et ses sbires monomaniaques. À la différence notable que ce palimpseste dévoile sous des mots biffés, hachurés, rudoyés, barrés raide, une poésie sensible et flambant neuve. J’ai dégoté quelques passages à faire frémir un jury de Carnaval : « La tempête/ A soufflé/ Le silence à voix basse » On envisage un tremplin pour l’artiste et la maison d’édition. Ce livre est un coup de génie ! Ne manquons pas de souligner un travail graphique remarquable.
D’ailleurs, pour demeurer dans les emprunts à haut taux d’intérêt, l’iconoclaste et usuraire maison d’édition propose une Anthologie poche des écrits de Théodore Patate, à la manière graphique et littéraire des anthologies poches (ou de poche, selon). Moult Éditions ne font pas dans la dentelle lorsqu’il s’agit de présenter de parfaits inconnus littéraires; sinon, inconnus tout court. Bon, on devine la vie plutôt autocentrique de Patate.
Disons que je ne troquerais pas son quotidien avec le mien. Il est banal, on ne peut plus banal, au point où l’éditeur martèle dans toutes les pages, avec notices explicatives à l’appui, l’importance de sa banalité. Tout y passe dans ce florilège à cheval entre l’érotomanie d’un Michel Brulé ou l’outrecuidance d’un Séraphin Poudrier. J’ai retenu ce passage d’un poème intitulé Bateaux : « Entends-tu la baleine et son chant ampoulé ? Tu es un océan plein de bateaux coulés/ Vêtus d’algues fancy de chez Mary Dooley ! ».
En oubliant l’emballage ludique, on peut aisément se laisser mener en bateau; car, au-delà de l’ironie, les sonnets romantiques — deux quatrains, deux tercets, des rimes embrassées — sont convaincants. Une série de huitains accompagnés de sixains composent la deuxième moitié du livre. Plus lourd pour l’amateur lambda, ces strophes de Patate sont incontournables pour saisir l’importance du personnage dans les annales insondables de notre histoire méconnue.