L’automne, toujours l’automne

Par Michaël Lachance
Publié le 14 septembre 2018
Le ramassage du raisin, Benoît Gingras
«un changement en prépare un autre.» -Machiavel

« …sous Québec chopé par la tête des ponts, la pastorale des littoraux évanouis aussitôt l’asphalte goudronné, encore humide comme tous les étés au nord ; la débauche des duotangs roses, des livres dorés, des mélopées en sucettes, des films bonbons, des dessins fauchés trop fluos ; des tendances accoutumées, couchées sur des horizons dégoutés et des corridors en cul-de-sac ; encore des couettes javellisées, des espoirs gros comme un colisée flambé neuf, un bric-à-brac entassé de promesses, qu’aucune gouvernance, ni déesse – aussi beaux les artifices –, oublié au premier coup de vent nordique ; un hoquet avant l’hiver atone, une plongée de force – féroce amour mon automne –, ton retour éternel que plus rien n’étonne. »

Doc, attablé chez Éluard ; je ne l’ai pas revu depuis mai. Il a troqué son classique Legendario pour du café filtre décaféiné. Il a devant lui une tablette Samson, les écrans valses sous l’impulsion de ses gros doigts de chirurgien radié. Il semble lire un tabloïd et il a clairement terminé les mots croisés du journal à côté. Son accoutrement trahi une vie équilibrée, sans doute saine ? Son teint est celui d’un fortuné bien nourri. Même ses cheveux au cuir habituellement lustré, semble exprimer une vigueur dont les secrets appartiennent aux rubriques plus osées des magazines à potins.

-Doc, t’as pas l’air de celui qui m’a envoyé cette prose blasée le mois dernier avec mille lieux communs et références littéraires faciles ?

-J’suis pas poète, moé !

– Que vaut ce changement radical ?

– Je’r’prends du collier! – ?

– Je suis médecin, niaiseux.

– Oui et radié à vie, non ?

– J’viens de lancer une demande d’appel.

On peut d’mander un pardon à un moment donné, t’sé.

– Pas sérieux, tu veux pratiquer à nouveau ?

– Non. Je veux devenir politicien.

– Et c’est reparti ! Chassez le naturel…

Soudain, la tension nerveuse a pris le bord. Doc reste Doc. On déteste les gens qui changent, cela est connu, c’est déstabilisant, anxiogène et insécurisant. Le statu quo pour tous. Margot a amené un double rhum sur glace avec un-à-côté de coke aux cerises. Lampé d’un trait.

– Un autre, Margot, stp ! Doc sirote son café à l’odeur dégueulasse. Je siffle sur siffle des verres de rhum. – Comment tu vas faire Doc ? -Crisse, rien, je dis pardon.

– T’as été radié trois fois !

– Encore désolé pardon personne est parfait blablabla…

– T’as confondu une « cliente » souffrant d’hypothyroïdie avec une femme enceinte!

T’as diagnostiqué chez la femme enceinte un syndrome de Cushing pis dans les deux cas les femmes ont vu ton rhum dissimulé dans des éprouvettes…

– Tout le monde fait des erreurs.

– Tout le monde ne fait pas les tiennes.

– Barrette et Couillard, tu penses qu’ils sont mieux ?

– Je les connais pas Doc… ouais, ok, Barrette a clairement pas de cœur et Couillard pas de cervelle…

– Moi, j’ai une tête et un cœur.

– Mais pas d’éthique.

– T’as vu ce que je bois, les changements que j’ai apporté cet été, mes vêtements, mon allure calice! Je fais comme eux-autres, je travaille mon « image ».

– Ok.

-T’écoute du Céline Dion, tu lis Richard Martineau et tu écoutes les films pédants d’Arcand ?

– Je fais semblant.

– On est toujours la même personne au fond, hein ? On change pas.

– Non.

– Tu me rassures.

– T’as écrit ton truc en prose ben saoul ?

– Oui.

-Je t’aime comme ça. …

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