Monsieur Dallaire, Monsieur Labeaume, Depuis l’apparition du Phare dans l’imaginaire public (18 février 2015), la controverse n’a jamais cessé. Je ne veux pas revenir ici sur l’entorse démocratique, telle que soulignée dans l’article de François Bourque du Soleil du 22 octobre, ni sur la qualité intrinsèque du projet actuel. Mais je m’adresse à vous deux aujourd’hui puisque ce projet devient votre projet personnel, le capital d’un côté, le politique, élu démocratiquement de l’autre, mais…
Mais il semble que le malaise autour de ce projet vient non pas tant de sa démesure que de son regard vers le passé. Cet objet insolent, en rupture avec son environnement, entend confirmer que Québec veut « copier les grandes villes ». Et pour affirmer cette position, il outrepasse la règle (non écrite, il est vrai) de l’acceptation sociale. Rappelons que suite à de nombreuses consultations, les résidents de Plateau centre de Sainte-Foy avaient modifié le PPU pour accueillir des édifices de 29 étages, nettement insuffisant à vos yeux.
Or le Phare, dans sa mouture actuelle, s’appuie sur une philosophie sans égard à l’empreinte écologique, en opposition à la marée montante des Pactes de transition, ici et partout sur la planète. Ce mouvement initié dans la dernière décennie reconnaît la catastrophe planétaire et est déterminé à nous sauver de l’effondrement ou au moins à amoindrir le choc pour nous et nos enfants. Le Phare projeté va à l’encontre de cette nouvelle utopie qui refuse désormais de dilapider les ressources non renouvelables. L’accueil du premier ministre François Legault réservé à Dominique Champagne le 9 novembre 2018 est d’ailleurs une belle ouverture en ce sens. Pour sauver la planète, il faut que le capital et les politiques regardent du côté des citoyens et non pas pour satisfaire leurs egos en donnant un legs qui n’emporte pas l’adhésion populaire. Il ne s’agit pas ici de contester votre généreux legs, monsieur Dallaire, mais bien d’en détourner la finalité. À titre d’exemple, le soutien financier d’André Desmarais à la Ferme des Quatre-Temps de Jean-Martin Fortier pour une permaculture biologique est un constat que l’économie peut et doit s’orienter vers le mieux-vivre de tous. (Voir La Presse plus, 12 août 2016.)
Messieurs Dallaire et Labeaume, pourquoi ne pas modifier cette maquette (ramenée à 29 étages) en une tour d’agriculture verticale ? Il me semble que cet immense espace, à la tête des ponts, serait un portail parfait pour signifier au monde entier que Québec est désormais une ville axée sur la sauvegarde de la planète. Prenez quelques instants pour laisser descendre en vous cette image comme symbole de l’anthropocène qui se soigne lui-même. Depuis vingt ans, Dickson Despommier, microbiologiste américain, développe cette idée de fermes urbaines verticales. Ces fermes essaiment présentement partout sur la planète dans les grandes cités depuis que le SkyGreen à Singapour est devenu réalité en 2013.
On pourrait transformer la zone à la tête des ponts avec un phare d’un autre ordre. Une tour qui, tel un séquoia gigantesque, s’élance vers le ciel, à l’image de Vincent Callebaut qui propose des projets d’agriculture urbaine à la verticale, dans des édifices qui offrent des terres arables non plus dans l’étalement des champs, mais en étagement. Le projet étant de nourrir les habitants de la ville avec une production locale, à portée de main. Ces jardins urbains permettent d’offrir une agriculture contrôlée et biologique avec un impact de transport à peu près nul.
La création de ces tours serait aussi un grand défi architectural et technologique, porteur d’une motivation puissante pour l’invention d’un monde viable s’éloignant de la catastrophe annoncée. Québec est une ville à dimension humaine avec une grande force d’attraction autant pour les Québécois que pour les visiteurs étrangers. Ce territoire en osmose avec une géographie exceptionnelle porte déjà les atouts d’une écologie intégrée. Un tel projet viendrait magnifier ce contexte dans l’imaginaire populaire.
Dans les dernières décennies, sous l’impulsion du maire L’Allier, Québec a quitté le brutalisme des années 1960 pour recréer un milieu de vie de grande qualité. Politique que vous avez d’ailleurs poursuivie dans plusieurs dossiers, Monsieur Labeaume. La promenade Champlain, la revitalisation de la Saint-Charles avec son parc riverain, l’écoquartier de Pointe-aux-Lièvres avec un édifice en bois massif s’élevant à 40 mètres, reconnu comme la plus haute structure de ce genre au monde, le superbe stade de soccer de l’université Laval, la bâtisse de la CSN… autant de réalisations ancrées dans la réalité nordique de Québec. (Voir les points de vue de Anne Delpech, « Le Phare, pourquoi pas utiliser le bois ? » Le Soleil, 31 octobre, et d’Alfred Martel, « Le Phare, L’Effarant », 11 novembre.)
Alors ce nouveau complexe Dallaire, métamorphosé par une pensée écologique, pourrait devenir le Phare de l’humain refusant son autodestruction. Les jardins se développent en hauteur, fournissent fruits, légumes, fines herbes, miel, huiles essentielles dans une permaculture à haut rendement. La preuve de rentabilité est présentement faite à Montréal, Newark et ailleurs (Voir Radio- Canada, « La semaine verte », 21 avril 2018.) On imagine cette nouvelle place comme un puissant attracteur où on retrouve un centre d’exploration et de recherche sur l’agriculture urbaine, un espace pour la vie et la lutte contre le réchauffement climatique, etc. La station de tramway déjà prévue permettrait aux citoyens de venir y faire leur marché; pas besoin de voiture, fini l’importation à des milliers kilomètres. On peut très bien y imaginer une fonction résidentielle aussi. Pourquoi ne pas faire de ce lieu un espace mythique et sans équivoque qui se singulariserait par une philosophie et une esthétique porteuses d’espoir et d’optimisme pour un avenir lumineux : « Bienvenue dans la cité de demain. »