Liberté surveillée arrive à point, tant ce livre aborde des sujets brûlants d’actualité. Paru en ce début d’année 2019 sous la direction du chroniqueur et philosophe Normand Baillargeon, l’ouvrage collectif collige les essais de onze auteurs qui s’intéressent à la liberté d’expression.
« Si vous n’êtes pas en faveur de la liberté d’expression pour les idées que vous détestez, vous n’êtes pas du tout en faveur de la liberté d’expression. » La citation de Noam Chomsky met la table de cet ouvrage spécialisé, quoiqu’ accessible.
Les aspects juridiques et philosophiques de la liberté d’expression sont abordés par le chercheur en droit des médias Jean Trudel, grâce à qui on apprécie la diversité des points de vus abordés. Le spectre politique est large en effet: les essais vont des limites auxquelles font face les discours haineux de l’extrême droite dans deux textes signés par le professeur de l’université Laval, Jocelyn Maclure ainsi que par Maryse Potvin et Siegfield L. Mathelet, jusqu’à des essais sur la « censure » récente exercée par certaines mouvances de gauche.
En abordant ces différents aspects de l’actualité, ce livre fait honneur à la liberté d’expression. Baillargeon dédie d’ailleurs l’ouvrage à Raïf Badawi, blogueur Saoudien, toujours emprisonné en Arabie saoudite pour des propos critiques tenu dans un blogue.
Dans son texte Malaise dans la conversation démocratique, Normand Baillargeon souligne qu’on assiste en ce moment à une forme troublante d’autocensure. « Certains sujets sont devenus tabous, sinon extrêmement délicats, et le prix à payer pour les aborder (intimidations, insultes, menaces, étiquettes, harcèlements et ainsi de suite, jusqu’à la tentative pour faire perdre un emploi) est parfois si élevé qu’on renoncera souvent à le faire, ou à exprimer franchement un point de vue présumé politiquement incorrect. » Il énumère quelques-uns des sujets tabous : les diverses questions relatives au sexe et au genre, à l’immigration, au nationalisme, au racisme ou à la laïcité.
Les essais les plus polémiques sont ceux signés par des intellectuelles qui dénoncent la censure. Normand Baillargeon, lui-même un homme de gauche, a eu un certain courage en invitant les auteures qui critiquent le féminisme intersectionnel (un féminisme qui défend les personnes cumulant plusieurs oppressions plutôt que les femmes en général). Diane Guilbault et Michèle Sirois déplorent la censure des discours de remises en question du concept d’identité de genre ou de la prostitution comme « travail ». Rhéa Jean dénonce « les condamnations sans procès ». Pensez aux sujets controversés des dernières années : ils sont abordés ici.
Annie-Ève Collin, professeure de philosophe au collégial, critique, quant à elle, l’association que font certaines personnes entre laïcité et racisme, en rappelant que si les races sont en partie des constructions sociales : « (…) Aujourd’hui, on pousse cette idée trop loin en considérant comme du racisme le fait de s’opposer à des pratiques, des idées, à des croyances, dans la mesure où celles-ci faisaient partie de l’identité culturelle de groupes humains, particulièrement si ceux-ci ne sont pas des blancs. » Selon l’auteure : « Élargir ainsi la définition de racisme constitue une forme de censure, parce que l’infamie liée à l’accusation de racisme fait en sorte que bien des gens n’osent plus s’exprimer, et que ceux qui osent s’exprimer se font discréditer. »
On retient des textes dénonçant la censure, provenant de certaines mouvances de gauche, l’importance de la nommer et de l’analyser pour mieux la comprendre. Et cela, même si certains points de vue peuvent paraitre conservateurs. On se dit, au final, que la défense de la liberté d’expression transcende les familles politiques.