En ce lundi 27 mai, la quasi-totalité des 300 sièges spartiates de la salle Multi du complexe Méduse étaient occupés. Il faut dire que Post Humains, pièce-performance signée Dominique Leclerc, qui en est aussi l’interprète principale, tourne depuis deux ans. Et arrivait à Québec très certainement précédée de sa réputation.
À l’instar, par exemple, de J’aime Hydro, un spectacle de Christine Beaulieu présenté à La Bordée à l’automne 2017, Post Humains s’inscrit dans la lignée du théâtre documentaire : une tendance lourde (sur la scène montréalaise) depuis quelques années.
La comédienne, auteure et metteure en scène Dominique Leclerc est partie d’une quête personnelle. Diabétique, elle souhaitait s’affranchir de la tyrannie de son jurassique glucomètre qui l’obligeait à une dizaine de prises de mesure quotidiennes aux résultats souvent approximatifs. Elle découvre sur Internet une lentille connectée, élaborée par Google, capable de mesurer l’indice glycémique des personnes atteintes de diabète. Mais voilà : Google s’empare des données personnelles- et biologiques dans ce cas-ci -, ce qu’on ne veut pas.
Cherchant des solutions de rechange, Dominique Leclerc en vient à se livrer à une véritable enquête qui la mène vers le monde méconnu du transhumanisme, une « philosophie », voire une idéologie suivant laquelle l’être humain peut se libérer de sa si pesante et finie condition grâce à la technologie.
Éviter la maladie, la souffrance, l’amoindrissement des facultés dû au vieillissement, la mort : n’est-ce pas ce que l’être humain a toujours souhaité? D’aucuns planchent à réaliser ce rêve. Ils ont nom Ray Kurzweil, directeur de l’ingénierie chez Google (!) et cofondateur de l’Université de la Singularité; Max More, président d’Alcor, une entreprise de cryogénie; ou encore Tom van Oudenaarden, spécialiste du perçage et « artiste de modification corporelle »…
Dominique Leclerc a rencontré plein de monde. Plein de gens susceptibles de vous persuader que votre corps n’est qu’une enveloppe, et est un fardeau. La technologie peut améliorer ses performances, grâce à des implants non médicaux, voire en accroître presque indéfiniment la longévité. De là à conserver votre substantifique moelle, dont le siège est le cerveau, que l’on injectera dans un cyborg, il n’y a qu’un pas.
Font contrepoint à ce discours des sortes de technosceptiques, par exemple cette femme qui assure être (parce qu’hypersensible) physiquement allergique à diverses ondes : diagnostic confirmé par son médecin, qui aurait constaté ces dernières années une augmentation du nombre de gens malades en raison des technologies.
Il ne faudrait d’ailleurs pas croire que cette production sert aux spectateurs un propos manichéen. Ainsi, alors qu’elle amorce son enquête, Dominique dit à son amoureux Dennis, un journaliste allemand (Dennis Kastrup, qui semble jouer son propre rôle tiré de la vraie vie) : « Don’t put your balls on your phone, please! » Voilà une amusante allusion à la croyance, avérée ou non, que les téléphones et autres appareils causeraient le cancer. Exprimée en anglais, étant donné le piètre allemand de la première, et le piètre français du second.
Les dialogues, sur lesquels repose en grande partie la pièce, sonnent juste, et le propos a de quoi alimenter une riche réflexion. Cela est présenté dans un décor minimaliste (comme le veut le théâtre documentaire). En plus de Dominique Leclerc et Dennis Kastrup, la distribution se compose de Didier Lucien (franchement marrant dans plusieurs rôles) et d’Édith Paquet. À la représentation de ce lundi est aussi apparu par surprise le Berlinois Enno Park, l’une des personnes-ressources de Dominique Leclerc.
La pièce est encore présentée ce mardi 28 mars à compter de 19 h au complexe Méduse. Le texte est publié aux éditions L’instant même. |