D’anciennes photographies, datant de 1894, année de la toute première édition du Carnaval d’hiver de Québec, montrent un campement amérindien tout près du « Fort » de glace. Il est aménagé au parc de l’Esplanade à l’intérieur des murs, au coin des rues St-Louis et d’Auteuil. Ce regroupement comprend de mes ancêtres Wendats (Hurons), reconnaissables par ceux qui portent leur coiffe traditionnelle et… au port de la ceinture fléchée ! D’autres autochtones des Premières nations portent manteaux et chapeaux de fourrures.
« Le Carnaval : avec les Indiens, c’est tout un festival. À la fin du XIX’ siècle et au début du XX’ siècle, les Amérindiens participent régulièrement aux activités du carnaval de Québec. Ils dressent alors leur campement à proximité de l’hôtel du Parlement et défilent dans la parade, vêtus de costumes variés et de riches coiffures de plumes. Les uns animent la fête en exécutant des danses traditionnelles; d’autres disputent des courses en raquettes sur des distances diverses. Pendant des jours, leur campement est un objet de curiosité. Incontestablement, leur présence est un apport indispensable à la réussite des festivités. »
Après 1894, il n’y aura que quelques éditions sporadiques du Carnaval d’hiver de Québec. La période des deux grandes guerres mondiales éclipse l’originale fête hivernale. L’événement reprendra avec la période de prospérité, en 1955 dans sa formule contemporaine combinant festivités populaires de quartier, parades, compétitions et spectacles. Mû par cette nouvelle industrie qu’est le tourisme, le succès s’installe. La fête populaire s’internationalise autour d’un personnage hors du commun : Bonhomme Carnaval à qui on remet depuis, les clefs de la ville. Entré dans le XXIe siècle comme troisième plus grand Carnaval au Monde et la plus grande fête hivernale, l’événement a su se métamorphoser avec les décennies. Unique dans la Vieille Capitale, cette fête urbaine de la neige et de la froidure, cultive toujours cette joie festive des gens de la place entourés de touristes de partout.
Aussi loin que je me souvienne, enfant, cette visite du Bonhomme Carnaval à l’orphelinat d’Youville en 1960 puis une sortie au tournoi de hockey Pee-Wee sont deux événements inoubliables. Le déménagement de notre famille recomposée du Village-des-Hurons (aujourd’hui Wendake) pour le quartier ouvrier de Limoilou en 1963, ajoutera l’autre élément convaincant : l’imposant défilé de jour, la parade du Carnaval. Tel un scintillant et sonore collier de wampum perlé enfilant corps de musique, majorettes, chars allégoriques, les grands chevaux des Prairies, le cortège de la reine et les duchesses puis, tel un personnage animé sculpté dans un bloc blanc sorti d’une mythologie nordique, ce gros et souriant Bonhomme à la ceinture fléchée comme celle de l’apparat des grands chefs Wendats, défilait le long d’une 3ième avenue bondée de fêtards après une tempête qui avait laissé pleins de bancs de neige.
Je revisite et vous confie ici des bribes de mémoire pour répondre à ces deux questions : des traces ont-t-elles subsisté de cette présence autochtone dès l’origine du Carnaval ? Et qu’est-ce qui a subsisté de l’apport populaire festif des quartiers ouvriers de la Basse-Ville (Limoilou, St-Roch, Saint-Sauveur et Saint-Malo), dont l’emblématique rue Ste-Thérèse a été, durant les décennies 1970 et 1980, considéré comme le cœur de la grande fête menée par Bonhomme Carnaval ?
Quand le Carnaval d’hiver de Québec reprend en 1955, le campement autochtone n’y est plus et le Fort de glace, rappelant le passé du commerce des fourrures, des coureurs de bois, de la Compagnie de la Baie d’Hudson et de ses comptoirs devient un Château, se moulant aux histoires de royautés mais aussi de Disneyland, symbole d’une nouvelle culture de masse qui s’instaure. Pourtant, des influences et des traces significatives se sont inscrites de manière permanente, ce qui me fait dire qu’il y aurait eu un ensauvagement du Carnaval d’hiver de Québec. À mes yeux, le Carnaval demeure, en effet, non seulement redevable à la nordicité autochtone à la fois dans ses symboles visibles et à la fois dans sa programmation.
En langue innue-aimun le mot Makusham appelle au rassemblement, aux chants, musiques et aux danses. La fête hivernale repose sur la même idée du rassemblement pour festoyer. Le Carnaval est l’héritier de l’esprit des grands campements et festins autochtones que l’on nomme dans nos langues. Ajoutons-y une influence peu connue : tout comme pour les tournois de hockey, la formule du Carnaval se répercutera dans toutes les communautés autochtones sur le territoire. En effet, prenant modèle sur le Carnaval, il y aura durant les décennies 1960 à 1980 presque dans toutes les réserves des festivités incluant des duchesses, des majorettes et des reines autochtones! Et, en 2020, à l’ère de la musique électro-pop où émergent de plus en plus de DJ, le château de glace, s’inspirant de l’igloo inuit, ne propose-t-il pas un genre d’« igloofest » immersif, dansant et musical ?
La symbolique ceinture fléchée de Bonhomme l’atteste. En effet, au regard de la photographie de 1894, le personnage en neige quand il apparaît en 1955, porte fièrement l’esprit de la ceinture fléchée des habits des chefs Wendats. À mes yeux, il est, en quelque sorte, le précurseur de cette immense projection audiovisuelle d’une ceinture fléchée métissant les influences amérindienne, française et irlandaise du Moulin à images de Robert Lepage projeté sur les silos au Bassin Louise à Espace 400e lors des fêtes de Québec 1608-2008. Tel un personnage mythologique tout droit sorti de nos contes et légendes, Bonhomme Carnaval a le don d’ubiquité, c’est-à-dire qu’on l’aperçoit partout : tant à un bal au Château Frontenac que dans des d’écoles, au Tournoi International de Hockey Pee-Wee ou comme ambassadeur de la fête à un match des Canadiens. Mais c’est vraiment pendant plusieurs décennies ouvrant ou fermant les grands défilés de fanfares, de majorettes, de jongleurs et de chars allégoriques et longtemps d’une reine et de duchesses, que Bonhomme Carnaval est la star à la joie contagieuse pour réchauffer le dehors.
Il en va de même de l’appellation «caribou» de la fameuse boisson inventée dans les voutes chez Ti-Père sur la rue Ste-Thérèse en 1964 commercialisé par la SAQ, ensuite. L’appellation évoque symboliquement l’importance des troupeaux de caribous pour les chasseurs Innus, Cris, Naskapiset, à la base de leur culture. De plus, la course en canots sur les glaces du fleuve entre Québec et Lévis fait sensation en 1894.
Clôturant les festivités de manière unique, c’est une vielle tradition amérindienne devenue sport extrême – en 1619 Champlain rapportait déjà dans ses écrits l’intrépide traversée en canots d’écorce par des équipes d’autochtones, et longtemps une équipe sera commanditée par l’entreprise Bastien de Wendake. Il en va de même pour les compétions de raquettes. Ajoutons-y les participations hors compétition des équipes inuites du Nunavik de sculpteurs sur neige. Leurs savoirs de toutes les facettes de la neige et la glace issus de la nordicité, leur savoir-faire s’exprimant par des outils uniques pour sculpter donnent chaque fois des œuvres racontant leur imaginaire polaire qui avivent la fête carnavalesque hivernale.
Peu de gens savent que, si le sport d’hiver national du pays est le hockey sur glace, le sport national d’été est son ancêtre autochtone, le jeu de La Crosse. Aussi, la participation d’équipes au Tournoi International de Hockey Pee-Wee maintient au présent l’esprit et la présence autochtone au Carnaval. D’ailleurs, une autre belle photographie en noir et blanc nous rappelle l’importance du tournoi au regard autochtone : la toute première jeune vedette à y marquer sept buts en 1962 est l’Atikamekw Arthur Quoquochi qui jouait pour l’équipe Les Indiens du Québec, laquelle regroupait des joueurs de toutes les communautés autochtones. Et, en 2010 le tournoi a accueilli la première équipe composée de joueurs Inuits, une initiative du programme hockey études mis de l’avant au Nunavik par le joueur étoile originaire de la région de Québec, Joey Juneau.
! D’une première sculpture sur glace devant la Basilique en 1894 se développeront des compétitions d’envergure de sculptures de neige. En 1960, alors que les organisateurs du Carnaval proposaient que la rue des Braves à la Haute-Ville, où il y a plusieurs maisons d’ambassades, soit ornée de sculptures sur glace, les gens de la basse-ville répliqueront par une rue ornée de sculptures sur neige comme alternative : sur la rue Sainte-Thérèse !
Plus qu’une galerie extérieure de sculptures, c’est véritablement là que va se développer de manière ouvrière et populaire la fête d’hiver attirant les foules par des initiatives qui contribueront à la grande renommée de l’événement au point d’être, entre 1960 et 1991, considéré comme le cœur du Carnaval d’hiver de Québec. L’ouverture dans son sous-sol par Lionel Faucher de la Voûte à Ti-Père en 1964 où l’on vient boire une lampée de caribou, une boisson alcoolisée mixant gros rouge et brandy, fait fureur tandis que l’originalité et les thèmes des nombreuses et magnifiques sculptures sur neige, dont un grand nombre créées par des résidents et leurs proches, non seulement en font des héros locaux mais encore resserrent les liens de communautés de la culture populaire et ouvrière des paroisses St-Malo et St-Sauveur aux pieds de la Pente douce.
Milieu d’inspiration de Roger Lemelin pour son célèbre roman Les Plouffe qui a connu des versions radiophonique, télévisuelle, cinématographique et en 2020 au théâtre, la rue Ste-Thérèse a aussi inspiré quelques autres rues de sculptures dans des quartiers comme Limoilou. En 1982, s’y installe le concours provincial des équipes de sculpteurs composés d’artistes alors qu’un volet international s’installe à la Place du Carnaval sur les Plaines. Ce sera le début de la fin de l’animation de la rue, alors que toutes les compétitions, provinciales et internationales seront rapatriées à la Haute Ville au début des années quatre-vingt-dix.
Autre signe de l’effervescence et de l’attraction de la basse-ville est le démarrage à l’aréna du parc Victoria de ce Tournoi International de Hockey Pee-Wee. Il deviendra si populaire, qu’en plus de déménager vers le Colisée de Québec, il devient la référence mondiale des tournois de hockey mineur. Pas étonnant qu’au fil des années, toutes les futures grandes vedettes de la ligue Nationale de Hockey, de Guy Lafleur, Richard Perreault à Wayne Gretsky, Mario Lemieux et les frères Howe, Bret Hull y soient passés. En 2020, le tournoi dynamise toujours de tournois ailleurs, allant jusqu’à refuser 200 demandes de participation. C’est dire l’engouement!
À la fin des années soixante-dix, l’organisation du Carnaval va connaître des turbulences. Des métamorphoses s’annoncent alors que des critiques mises en pratiques surgissent. Pour une, la radio communautaire de Québec CKRL-MF, la plus ancienne au pays, en complicité avec des groupes estudiantins du Cégep Limoilou notamment, met de l’avant un Carnaval de la Couleur alternatif afin de mettre de la pression sur le caractère de plus en plus commercial de la grande fête hivernale officielle pour que s’ajuste la programmation aux nouvelles générations. La sortie du documentaire Le Soleil a pas d’chance tourné par Robert Favreau pour l’ONF en 1975 fait choc. Cette incursion dans l’univers machiste de la sélection puis du rôle que l’on fait jouer aux duchesses du Carnaval et de sa reine amorce une critique féministe qui se poursuivra.
En 1982, le collectif de femmes artistes les Folles Alliées, dont fait partie celle qui deviendra députée du comté et ministre de la Culture sous les gouvernements du Parti Québécois, Agnès Maltais, produit la pièce Enfin Duchesses, une parodie de ce concours qui aura attiré quelques 12,000 jeunes candidates en 42 ans d’existence. Après une proposition d’introduire des « ducs » en 1994, le volet de la reine et des duchesses est supprimé en 1997 pour réapparaitre de 2014 à 2018, fomentant à nouveau, cette fois sur les réseaux sociaux une nouvelle critique artistique et féministe, amorcée en 2010, portant l’idée de La revengeance des duchesses !
En 2020, comme le campement amérindien du début, la rue Ste-Thérèse n’existe plus. Rue du Carnaval de 1960 à 1991, elle a changé de nom. La parade de la Basse-Ville a migré vers la banlieue urbanisée de Charlesbourg depuis plusieurs années. Les activités d’animation populaire sont parties de l’autre côté de la rivière St-Charles. Toujours près des murs fortifiés où avait été érigé l’antique campement amérindien de 1894, la colline parlementaire concentre le Château de glace et les plaines, les sculptures et activités familiales. Le défilé de la Haute-Ville y aboutit en partance du campus universitaire à Ste-Foy. Mais l’hiver y souffle toujours l’esprit cyclique sauvage, indompté de la froidure, de la nécessité de se rassembler pour festoyer ensemble dont les origines amérindiennes et de culture de quartiers populaires, persistent. Onenh’.
Onenh’ signifie au revoir en langue Wendat.