La persistance des inégalités hommes-femmes démontrée en long et en large à l’aide d’une masse impressionnante de données. « Tout État est patriarcal », souligne d’entrée Joni Seager. C’est donc dire qu’il existe une discrimination structurelle, systémique ‒ imputable aux lois et aux institutions. Et qu’en matière d’iniquités entre les sexes, observables dans la sphère tant privée que publique, les gouvernements jouent un « rôle déterminant ».
Avec L’atlas des femmes, Seager, géographe, professeure à l’Université Bentley, en banlieue de Boston, et consultante auprès des Nations Unies, s’emploie à la tâche, colossale, de prendre la mesure de ces iniquités.
L’ouvrage est divisé en huit grandes rubriques, comme « Reproduction », « Éducation et connectivité » ou encore « Propriété et pauvreté », auxquelles sont associés une foule d’indicateurs, comme la mortalité maternelle, les violences sexuelles et conjugales, la durée de la scolarité, la rémunération, l’exposition à des substances toxiques (contenues notamment dans les produits cosmétiques), le mariage des enfants, les migrations économiques.
Dans la comédie romantique Toilet, issue des studios bollywoodiens en 2017, une femme demandait le divorce pour cause d’absence de toilettes dans la maison de son mari. Quatre ans plus tôt, une poignée de féministes indiennes, s’inspirant du mouvement chinois Occupy Men’sToilet, lançaient à Mumbai la campagne Right to Pee.
«Les conditions d’utilisation des toilettes sont des indicateurs sociaux précieux», insiste Joni Seager. Des millions de fillettes et de femmes dans le monde n’ont pas accès à des installations sanitaires adéquates, au domicile comme dans les lieux publics. À la recherche d’endroits isolés pour uriner, elles s’exposent au viol; faute de toilettes correctes dans certaines écoles, des filles interrompent leur scolarité à l’entrée dans la puberté. Les conséquences de cette « précarité sanitaire » sont en fait innombrables.
Et tandis que de plus en plus de milieux, souscrivant ainsi à une revendication de la communauté LGBT, se soucient d’aménager des espaces neutres, non genrés, «certaines féministes mettent en garde : il ne faut pas faire des toilettes mixtes le seul cheval de bataille, car le démantèlement des espaces réservés aux femmes […] n’est pas émancipateur pour tout le monde », rappelle Mme Seager.
En plus d’une profusion de données couvrant les cinq continents et une foule de sujets, et présentées au moyen de visuels fort attrayants, l’ouvrage est émaillé de courts textes descriptifs ou explicatifs visant à attirer l’attention sur une situation, un phénomène, ou encore sur une lutte particulière.
Ce sont par exemple les actions entreprises dans le cadre de Right to Pee, donc, et aussi la campagne #Undress522 lancée fin 2016 par l’ONG (Organisation non gouvernementale) libanaise ABAAD en opposition à l’article 522 du Code pénal, et en vertu duquel un violeur était exonéré de son crime s’il épousait sa victime. L’article a été abrogé, mais d’autres lois tout aussi discriminatoires sont encore en vigueur au Liban, tandis que plusieurs pays (Lybie, Irak, Cameroun, Palestine, Koweït…) continuent de permettre des « exceptions » en ce qui concerne le viol.
Des citations choisies éclairent cet atlas que son autrice elle-même définit comme « féministe ». Ainsi peut-on lire, de la célébrissime écrivaine canadienne-anglaise Margaret Atwood : « Les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux. Les femmes ont peur que les hommes les tuent. »