Annus horribilis

Par Francine Bordeleau
Publié le 20 mars 2020
La chute des têtes, acrylique sur papier noir, Paule Genest, 2003.

À peu près en même temps que le Nouvel An chinois a commencé de s’écrire un grand roman planétaire : celui de la COVID-19. Voilà donc que le cœur du monde entier s’est mis soudain à battre à l’unisson, c’est-à-dire au ralenti. Rien ne trouble la torpeur générale imposée. Rien, sinon la course au papier-toilette et les bruits intempestifs deces voisins agités du bocal qu’auparavant on n’entendait que le soir.

Il est rassurant de voir qu’en ses fondements, l’humaine espèce est partout la même.

Cependant, nul besoin d’être un descendant de Nostradamus pour prédire que «vingt-vingt», comme disent d’aucuns, sera une année de tribulations. Les Bourses dégringolent, des déficits stratosphériques sont attendus, et une grave récession économique est déjà en cours. S’en sera-t-on remis en «vingt-trente»?

Qui n’a pas ses petits soucis!

En 1667, le poète anglais John Dryden (1631-1700) publie «Annus Mirabilis» (littéralement : année miraculeuse), un poème ayant pour but de célébrer l’année 1665-1666 qui, selon lui, aurait été «miraculeuse», donc. Orla capitale de la Grande-Bretagnesubit une épidémie de peste en 1665, et en septembre 1666 survient un événement connu comme le «grand incendie de Londres», incendie qui détruira la grandiose cathédrale Saint-Paul.

Mais 1666 contient le chiffre de la Bête (666) et selon Dryden, c’est un miracle si les choses n’ont pas été pires.

Trois siècles plus tard, en 1992, le Royaume est plutôt en proie à une «annushorribilis», selon la reine Élisabeth II (une fine lettrée, constate-t-on). Cette année-là, l’un de ses quatre enfants, le prince Andrew (mis en cause dans le scandale sexuel révélé en 2019 par l’affaire Jeffrey Epstein), divorce de Sarah Ferguson. Une biographie de Lady Di, pas trop flatteuse (Diana: HerTrue Story, d’Andrew Morton), est publiée. Le château de Windsor, l’une des résidences de la famille royale, est la proie des flammes.

Péril en la demeure

Mais pour reprendre un titre de l’écrivain français Louis-Ferdinand Céline, «d’un château l’autre» (Gallimard, 1957) : en somme chez les d’York, ce ne sont pas les maisons qui manquent. L’isolement forcé en devient, du coup, tout relatif.

Reste qu’aux temps de la COVID-19, la vie est particulièrement âpre pour ceux qui ont un logis vétuste, et encore plus pour les sans-logis. Les mesures de distance sociale ont pour effet de restreindre l’accès à toutes les ressources communautaires, y compris le Café Rencontre Centre-Ville et les refuges.

Pendant ce temps, les établissements hôteliers de la région affichent un taux d’occupation famélique (de 5 à 10%). Aussi Jean Audet, propriétaire des Grand Times Hotel, racontait cette semaine au journaliste Marc Allard, du Soleil, que le gouvernement, qui pourrait avoir besoin d’espaces si les hôpitaux débordent,«devrait d’abord se tourner vers les hôtels avant d’ouvrir des locaux modulaires» («La quarantaine à l’hôtel?», 17 mars 2020).

Pour peu que le gouvernement considère une telle proposition, les personnes itinérantes ne pourraient-elles pas faire partie de l’équation?

Un pape François, mais juste un Justin

Chose sûre, en tout cas, les initiatives gouvernementales ne manquent pas. Et pour une rare fois, il semble que les aides consenties feront vraiment une différence. Pour une rare fois, même si cela reste à vérifier à l’usage (ce qui viendra très bientôt), on ne cherche pas à maintenir les gens en mode survie, mais à les garder dans la vie.

Benjamin Franklin (1706-1790), l’un des Pères fondateurs des États-Unis et instigateur des premières bibliothèques publiques, serait fier!

Franklin voulait que tous soient le plus instruit possible afin que tous, par leur savoir, leurs compétences et leur ingéniosité, contribuent à la prospérité de la société. Telle est d’ailleurs la pensée éthique à l’origine du capitalisme. L’effigie de Benjamin Franklin couronne le billet américain de 100$. C’est dire!

D’une certaine façon, aux temps de la COVID-19, le Canada a renoué avec la philosophie, pas compassionnelle mais pragmatique, de Franklin, par exemple en raison du soutien étatique aux travailleurs autonomes (TA), aussi appelés «sans-chèques» parce qu’admissibles ni à l’assurance-emploi ni à l’aide sociale. Une catégorie bizarroïde à laquelle, mine de rien, appartiennent trois millions de Canadiens, dont votre humble.

Lundi, François Legault annonçait une mesure financière pour les TA, si et seulement si la COVID-19 les forçait à la réclusion. Mercredi, Justin Trudeau a annoncé un soutien pour les TA qui se retrouvaient sans contrats, donc sans revenus, non parce qu’ils étaient malades, mais parce que les clients réduisaient leurs activités pour une période indéterminée.

«Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près des États-Unis», aurait dit Porfirio Diaz, président-dictateur du Mexique de 1876 à 1911 : une phrase que fait sans doute sienne, avec les adaptations d’usage, Justin Trudeau.

Lorsque Pierre Elliott Trudeau devint père, des journalistes lui ont demandé, en toute bonhomie, ce qui avait conduit au choix du prénom de l’enfant. Réponse : «Juste un.»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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