Depuis le mois de mars, la pandémie de la COVID-19 remet en cause nos façons de faire dans à peu près tous les domaines, l’architecture et l’aménagement urbain se retrouvant souvent au premier plan. Et au début de la saison estivale, c’est moins l’urgence immédiate de la situation que la nécessité de prendre en compte la présence du virus SARS-CoV-2 dans le moyen terme qui amène son lot de questions. En effet, dès qu’on parle de déconfinement, c’est tout l’espace public qui a besoin d’être réévalué en fonction des recommandations de la Santé publique, dont l’exigence de distanciation physique, difficile à maintenir dans des quartiers anciens comme le Vieux Québec ou les faubourgs Saint-Jean-Baptiste, Saint-Roch et Saint-Sauveur.
Les trottoirs sont souvent étroits et comportent des obstacles de toutes sortes (poteaux électriques, bacs de recyclage, véhicules); les places publiques, les parcs et les simples coins de verdure sont rares. Les difficultés se manifestent aussi dans les rues commerciales, où les files d’attente se multiplient, ainsi qu’aux intersections, où les piétons s’entassent en attente du feu autorisant leur passage.
Dans plusieurs villes, donc, des rues sont réservées aux piétons, au moins temporairement; des voies partagées, des pistes et bandes cyclables voient le jour, même de nouveaux parcs sont aménagés. À Québec, ce sont les segments plus achalandés de l’avenue Cartier, des rues Saint-Jean, Saint-Joseph, Saint-Vallier ouest, ainsi que de la troisième Avenue qui sont réservés aux piétons pendant les week-ends.
Ceci s’ajoute à d’autres mesures dont le détail est donné sur la page COVID-19 du site Internet de la Ville de Québec, incluant la modification d’un certain nombre de règlements municipaux, comme ceux concernant les parcs, les marchés publics, et même les escaliers publics entre haute-ville et basse-ville. Certains deviennent plus permissifs et d’autres plus contraignants, mais ces règlements ont tous dû être adaptés afin de rendre le déconfinement plus sécuritaire.
Globalement, il est important de voir que ces mesures (temporaires pour la plupart) ne sont pas seulement des réponses ponctuelles à un problème passager; dans la plupart des cas, elles mettent en évidence des problèmes plus profonds qui marquent la vie urbaine depuis longtemps. En effet, la place très limitée qui est attribuée aux piétons et aux cyclistes à Québec est une déficience que les citoyens ont maintes fois soulignée, et qui s’ajoute au manque de services de proximité dans plusieurs secteurs, à l’éloignement des espaces verts ou à la présence d’îlots de chaleur importants au centre-ville.
L’urgence d’agir ressentie aujourd’hui résulte donc en partie du retard de la Ville dans ses actions vis-à-vis ces problèmes. Les mesures visant à apaiser la circulation automobile dans les quartiers centraux et aux traverses piétonnes en général, par exemple, n’en sont encore qu’à un stade ‘expérimental’. Quant aux rues commerciales, les clients sont toujours légalement obligés à retourner aux intersections pour aller d’une boutique à l’autre si elles ne sont pas du même côté de la rue (sauf les jours réservés aux piétons, bien entendu).
Face à de telles situations, plusieurs organismes—Vivre en ville, par exemple — recommandent logiquement de favoriser les rues partagées — un concept qui mise sur la tolérance et la civilité plutôt que sur la ségrégation des usages. Par contraste, les rues piétonnes « temporaires » ne font que reproduire dans le temps la ségrégation des usages et la complexité qui existent déjà dans l’espace: l’avenue Cartier entre Fraser et Saunders, les samedis et dimanches, de 9h à 19h; la rue Saint-Jean entre Turnbull et Honoré-Mercier, les samedis et dimanches, de 11h à 18h; la rue Saint-Jean entre d’Auteuil et la côté du Palais, les samedis et dimanches, de 10h à 20h, etc…
Il en va de même pour l’architecture. Ici encore, des groupes de citoyens ont maintes fois souligné l’intérêt du bâti caractéristique des faubourgs et de l’importance de garder un stock de logements locatifs diversifié, incluant une part significative de logement social. C’est en contexte de pandémie, quand on demande aux personnes atteintes du virus de s’isoler, que l’importance d’avoir un toit est exposée au grand jour…
Dans le même ordre d’idées, le maintien d’un gabarit modéré, de trois à quatre étages — qui avait été recommandé par la Comité citoyen de Saint-Roch lors des consultations sur les PPU (plans particulier d’urbanisme) — permettrait de bien harmoniser l’ancien et le nouveau, en plus de limiter les corridors et les ascenseurs à l’intérieur, et ainsi favoriser la planification d’appartements bien illuminés et bien ventilés, donc moins dépendants des systèmes de climatisation. Quand la pandémie exige de limiter le nombre de personnes dans une cabine d’ascenseur, on aime bien pouvoir trouver un escalier pas trop loin…
Les questionnements sur nos façons de faire habituelles peuvent aussi se poursuivre au sujet des édifices à bureaux: de nombreuses villes se voient aujourd’hui confrontées à la multiplication des espaces vacants dans un contexte où s’impose le travail à distance. Et encore une fois, la situation actuelle exige que les problèmes soient considérés dans le moyen terme, et même davantage, puisque la Santé publique recommande que le télétravail se poursuive lorsque les espaces à bureaux ne peuvent être aménagés en fonction de ses recommandations.
L’éclosion de légionellose à Québec à l’été 2012 avait déjà mis à l’épreuve le concept des édifices aux fenêtres hermétiques, fonctionnant uniquement avec des systèmes de climatisation dont l’entretien doit être impeccable…; la pandémie de la COVID-19 ne fait que mieux mettre en évidence des difficultés et des problèmes qui étaient déjà présents.
Si la pandémie que nous traversons actuellement sera vraisemblablement maitrisée dans un avenir rapproché, elle oblige néanmoins les autorités publiques à prendre des mesures radicales face à un certain nombre de problèmes qui étaient bien connus. Ce serait une erreur de croire que tout cela devrait rester temporaire et passager, et que la vie pourra reprendre « comme avant » lorsque l’épisode de la COVID- 19 sera derrière nous. Il est important de profiter du défi actuel pour penser l’architecture et l’aménagement urbain de manière plus sécuritaire, conviviale, communautaire et écologique.