Le côté jardin de la pandémie

Par Marc Boutin
Publié le 11 juin 2020
La Fresque des Québécois, Vieux-Québec. Photo: Marc Boutin

Les premiers mois de la covid-19 n’ont pas été jojo pour tout le monde. Fini les réceptions à la maison et du côté des CHSLD, ça n’allait pas bien du tout. Sont restés trop longtemps fermés les cafés, les restos, les bibliothèques et les librairies. Et y a-t-il quelque chose de plus plate pour un humain sociable, accueillant et cultivé que d’être piégé seul devant son ordi à cause du télétravail, ou devant sa TV.

Mais, du moins au centre-ville, le grand confinement a eu ses bons côtés. Avez-vous remarqué le silence dans les rues et dans le ciel ? Plus d’avions qui tournent en rond. Presque plus d’autos qui encombrent les rues. Soudain on entend le froufrou du vent dans les arbres, l’air s’est dépollué, le chant des oiseaux a envahi l’espace et il paraît que l’eau de Venise est devenue translucide.

Deux mètres de distance! C’est pas grave; vu qu’il n’y ni chars, ni camions ni motos, on peut s’entendre parler, pas seulement à deux mètres, mais aussi d’un côté à l’autre des rues et des avenues. Les rues Saint-Jean, Saint-Joseph, Saint- Vallier-Ouest, Cartier, 3e Avenue, sont devenues au début du confinement presqu’aussi calmes et agréables que nos rues résidentielles.

Et autre nouveauté, les touristes sont restés à la maison. Les Airbnbs sont abandonnés (bon débarras) et on n’a plus à endurer le vacarme des valises à roulettes dans les rues de quartiers. On entend plus parler anglais ou chinois dans les rues commerciales. Quel calme, quel confort, que de l’oxygène pur dans les poumons et, en prime, les autobus sont gratuits.

Lorsqu’on déambule dans les rues du Vieux-Québec, on constate, oh surprise! que de vrais résidants y vivent et s’y promènent. Première fois depuis plus de quarante ans, j’ai même vu à l’intérieur des murs, des enfants jouer dans la rue. On aurait cru une reprise du miracle de Fatima.

Dans le quartier Petit Champlain, d’ordinaire envahi jusqu’à étouffement par des hordes de croisiéristes perdus et de lointains banlieusards esseulés, j’ai croisé (à distance de deux mètres bien sûr) quelques gentils résidants dont j’ignorais jusqu’à l’existence avant la pandémie. La vie semblait revenue dans les quartiers «d’où nous fûmes chassés» et la nature en pleine ville semblait avoir repris ses droits.

Industrie touristique

Ce qui m’a frappé pendant cette période de mutation où j’ai beaucoup arpenté le centre-ville, c’est l’emprise étouffante que l’industrie touristique exerce depuis longtemps sur Québec, mais aussi, à une échelle mondiale, l’effet qu’a cette industrie sur les émissions des gaz à effet de serre.

C’est l’industrie touristique qui, pendant la période de la Rénovation urbaine (1965-1980), s’est accaparée du quartier intra-muros de Québec, qui lui a fait perdre son nom (Quartier Latin), ses écoles, son université et une grande part de ses résidants, surtout les familles avec enfants. C’est l’industrie touristique, avec l’appui des gouvernements, qui a chassé les résidants de la paroisse Notre-Dame des- Victoires pour démolir le quartier et le remplacer par du faux-ancien ce qui a fait de Place Royale une espèce de Disneyland artificiel commercialisé.

C’est l’industrie touristique qui nous amène ces masses qui visitent une ville-objet plutôt qu’une ville vivante, qui circulent dans des autobus rouges à deux étages, se baladent sur le Louis-Jolliet, mangent au MacDo et nous arrivent via ces liaisons polluantes que sont l’avion, les bateaux de croisière ou l’autoroute. Maintenues à l’écart d’une population locale, que l’industrie touristique a chassées des lieux pittoresques de Québec, les masses touristiques se pâment d’admiration devant un mur de ciment : la Fresque des Québécois, Côte de la Montagne.

Tourisme artisanal

Le tourisme artisanal s’oppose au tourisme industriel. Avant 1965, la Ville vivait au rythme d’un tourisme artisanal qui s’adressait aux voyageurs plutôt qu’au tourisme de masse. Le voyageur, contrairement au touriste, apprend la langue du pays qu’il visite, cherche à rencontrer les gens de la ville qu’il visite et veut participer à la vie sociale et culturelle des quartiers qu’il visite.

On devrait graduellement pouvoir revenir au tourisme artisanal au centre-ville de Québec. Cette année, il n’y aura ni festival d’été, ni hôtel Hilton, ni bateaux de croisières, ni relève de la garde en gros bonnets de poil d’ours à la Citadelle. Des milliers d’hôtes de la multinationale touristique Airbnb vont délaisser le service de location à cause de la covid-19. Airbnb est un service de location qui tend à commercialiser la fonction résidentielle des quartiers urbains.

Pourquoi ne pas profiter de la relâche touristique due à la pandémie pour peu à peu repeupler les quartiers du Vieux- Québec, de Place Royale, de la Rue Petit-Champlain avec un population de type familial et des services adaptés aux besoins de cette population? Un jour, il faudra faire la même chose avec la Citadelle, en faire un quartier résidentiel sans circulation automobile. Et faire en sorte que le touriste voyageur puisse circuler dans l’ensemble des faubourgs et des quartiers populaires de Québec, pas juste au centre-ville.

Attention, le calme qu’on a connu est à la veille de nous être ravi. La pollution sonore est revenue d’abord avec le bruit infernal des motos. Et graduellement les automobilistes sortent du confinement. À la pollution sonore se combine depuis quelques semaines une intensification de la pollution de l’air. Au secours! Allons-nous revenir à la situation désolante d’avant l’épidémie, à l’envahissement touristique de nos plus beaux quartiers, comme si on avait peur du changement?

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