Le nouveau rapport du BAPE (Projet de construction d’un tramway à Québec) donne de quoi faire réfléchir. La rigueur sévère requise pour le réseau structurant contraste de façon tranchante avec l’attitude de laisser-faire pour l’auto solo et le troisième lien. Deux visions diamétralement opposées s’entrechoquent dans le même document.
Deux poids, deux mesures
Comme l’a constaté le Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur dans un communiqué (On est tanné du statu quo ! Pour un métrobus dans Saint-Sauveur et le tramway le plus vite possible), le « tout à l’automobile » mine la qualité de vie des résident.es des quartiers centraux.
Le taux de motorisation (autos par ménage) est en croissance à Québec, tout comme le nombre de déplacements en voiture. La part modale du transport collectif stagne.
Le BAPE constate que la ville est structurée en fonction de la voiture individuelle. Il y a une importante capacité autoroutière et une abondance de stationnements. Autrement dit, on a gaspillé d’énormes sommes pour subventionner lourdement l’automobile, et ça va se poursuivre avec le troisième lien.
Quant au tramway, le BAPE oblige qu’on lésine au maximum, quitte à remettre en cause la technologie principale, le tramway. Le BAPE croit que le SRB (Service Rapide par Bus) ferait mieux la job, à moindre coût. La Ville avait proposé un projet de tramway où les paramètres ont été fixés, sans consultation, afin de favoriser le tramway et exclure le SRB. La Ville impose le tracé et la elle adopte une stratégie de « rabattement » qui gonfle artificiellement l’achalandage anticipé. Bref, une analyse tronquée et trompeuse.
Tracé imposé
Déjà en 2013, notre regretté collègue Marc Boutin avait remarqué dans nos pages que le maire Labeaume interdisait qu’on discute du tracé le tramway, contre le tracé).
Selon le rapport du BAPE, c’est toujours le cas. Les consultations menées par la Ville depuis 2017 « ont confirmé l’intérêt de la population… sans pour autant qu’une technologie et un tracé particuliers n’en ressortent » (p. XI).
C’est aux experts de choisir le tracé. Nous autres, on ne peut rien dire.
Choix de technologie
C’est également vrai pour la technologie choisie. Parmi les technologies possibles, il y a certes le tramway. On a répété le mot « tramway » si souvent et depuis si longtemps que c’est devenu presque synonyme de « réseau structurant ».
Mais le BAPE croit que la technologie du SRB mérite d’être considérée. On peut construire 40 km au même coût que les 22 km de tramway, tellement le SRB coûte moins cher.
Imaginez si on vivait dans une ville démocratique où on avait le droit de parler du tracé! Est-ce qu’il y a quelque chose de noble qu’on pourrait songer à faire avec ces 40 km, 18 km de plus que le tramway ? Desservir Lebourgneuf, par exemple ?
Achalandage artificiel
Selon le BAPE, le tramway est privilégié parce que l’analyse n’est pas bonne. Après avoir fixé le tracé sans consultation, les experts de la Ville ont écarté le SRB de toute considération. La Ville prétend que le SRB n’a pas la capacité nécessaire à accommoder l’achalandage.
L’achalandage se chiffre en nombre de passagers par heure. Une ligne de SRB peut en accueillir jusqu’à 3 000. Au-delà de 3 000 personnes, le tramway devient nécessaire.
Le hic, c’est qu’il n’y aura pas 3 000 personnes par heure sur le tracé proposé sauf autour de deux pôles d’échange Ste-Foy et St-Roch (fig. 17 du rapport). Ailleurs sur le tracé, le tramway n’est en aucun cas justifié. Il n’y aura jamais 3 000 personnes par heure vers Le Gendre à ouest, ni vers Charlesbourg à l’est.
Qui plus est, à ces deux endroits précis où l’achalandage dépasse 3 000, c’est seulement grâce à une stratégie appelée « rabattement ». Les autobus du RTC amènent les passagers aux pôles d’échange. Les gens seront obligés de prendre le tramway, ils n’auront pas d’autre choix. Il n’y aura aucun autobus en direction parallèle au tracé.
Cette stratégie de rabattement gonfle artificiellement le nombre de passagers. Sans rabattement, l’achalandage n’aurait jamais justifié le tramway. Le SRB aurait été suffisant.
Répartition, pas rabattement
C’est pourquoi le BAPE suggère (p. 183) que le réseau soit modifié, autour de Ste-Foy et de St-Roch, afin justement d’éviter que l’achalandage ne soit trop élevé. Au lieu de concentrer la charge, mieux vaut la répartir autour de ces deux pôles. Sinon, la conception, y compris notamment le choix du tramway comme technologie à préférer, n’est pas correcte.
Toute la justification pour le tramway est mise en doute. On risque de gaspiller trois milliards pour un système dont la conception est erronée parce que basée sur une analyse trompeuse. La Ville impose le tracé et décide de rabattre tout le monde vers le tracé, ce qui force l’adoption d’une technologie plus coûteuse que nécessaire. Et elle refuse d’envisager une stratégie et une technologie moins chères qui pourraient mieux répondre aux besoins de la population.
Il y a pire encore. À cause de la stratégie de rabattement, la majorité de déplacements en tramway vont nécessiter des correspondances, ce qui n’est pas le cas actuellement sur le réseau du RTC. Ces correspondances, prévoit le BAPE, inciteront ceux qui ont une voiture à bouder le transport collectif (p. XIV).
Aucune rigueur pour le 3e lien
Le troisième lien, un tunnel autoroutier, se passe sans analyse. Pendant que nous discutons si le tramway serait « optimal », si le SRB serait un meilleur choix de technologie, si la Ville avait truqué son analyse en amont pour arriver à une conclusion prédéterminée, le troisième lien échappe à toute analyse rigoureuse. Il n’y a jamais eu aucune étude la le moindrement sérieuse.
Le BAPE demande au gouvernement de préciser ses intentions sur le troisième lien, sans rien réclamer en termes d’analyse ou d’audiences. C’est comme si le troisième lien est déjà inévitable. Selon le rapport, les deux projets seront liés par une interconnexion dans St-Roch.
Le gouvernement gaspille sans vergogne sur la voiture individuelle et le troisième lien, et en même temps, le BAPE exige une optimisation rigoureuse du réseau structurant.
Les remarques de cette analyse ne se retrouvent pas dans celles faites dans les grands médias, curieuses omissions. Dans le tracé retenu par les technocrates rappelons-nous qu’on a hésité entre la Haute-Ville et le Boul. Charest,,….La Haute-ville a été retenue quand on a constaté le bien fondé d’une section souterraine entre St-Roch et la Colline parlementaire en allant vers l’ouest jusqu’à un certain point hypothétique. Et on a alors tout mis dans le « béton-métal-verre-bitume » dans la minéralisation incluant la coupe systématique de centaines d’arbres!….Comme dit l’analyse de Stuart on a mis de côté la réalité des usagers, des vivants et leur environnement. J’ajouterai: au profit des apparences matérielles profitables aux institutions financières prêteuses. Bien difficile d’oser vraiment placer l »automobile individuelle » au second plan du transport urbain car il s’agit d’un gigantesque déplacement de « l’économie du transport de personnes ». Le PIB régional lié à l’automobile est énorme en effet. Réellement privilégier le transport collectif ça implique la translation de sommes énormes de $ d’un secteur à d’autres souvent nouveaux. Évident que les décideurs tiennent vraiment à leur auto personnelle. Combien d’entre eux ou elles utiliseraient le tramway envisagé?