Depuis quelques temps, le Port de Québec a lancé une importante campagne médiatique dont l’objectif semble être de générer une meilleure acceptabilité sociale de son projet d’agrandissement baptisé Laurentia. Rappelons que ce projet n’a toujours pas reçu l’approbation de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC), dont la publication d’un rapport préliminaire devrait avoir lieu sous peu.
Cette campagne publicitaire fait cependant l’impasse sur des faits importants qu’il faut rappeler aux décideurs et aux citoyens. Ce sont eux qui auraient à subir les impacts négatifs d’un projet qui altérerait le paysage de Québec de manière irréversible, s’il venait à être approuvé.
Depuis les premiers balbutiements du projet il y a plusieurs années (sous d’autres noms), l’Administration portuaire de Québec (APQ) fait miroiter la création de centaines d’emplois par le biais de son projet d’agrandissement. Les chiffres évoqués ont beaucoup varié, allant d’environ 250 jusqu’à quelques milliers. Cette variation des chiffres évoqués est aberrante, puisque ce nouveau terminal serait parmi les plus automatisés au monde. Or, les terminaux les plus modernes et les plus gros n’emploient que quelques dizaines de personnes pour des volumes d’affaires beaucoup plus importants que ce qui est envisagé à Québec.
Les affirmations de l’APQ référeraient-elles alors au total des emplois directs, indirects et induits pour l’ensemble du Canada? Ce n’est jamais indiqué, mais précisons ce que signifie cette expression. Elle réfère au nombre d’emplois qui POURRAIENT être requis pour générer assez de biens et matières qui nécessiteraient le transport du nombre de conteneurs projeté. L’usage du conditionnel est ici très important puisque la création de ces emplois dépend de beaucoup de facteurs économiques devant se conjuguer positivement. Dans la situation actuelle où les ports du Saint-Laurent se font concurrence plutôt que de travailler en synergie, il est probable que le transit de conteneurs qui se ferait à Québec serait grugé sur celui du Port de Montréal. Ceci conduirait à une somme nulle, tant du point de vue des emplois que de l’économie, malgré les importants investissements provenant en partie des fonds publics.
Le seul attrait de Laurentia serait alors d’y pratiquer des tarifs « extrêmement concurrentiels », plus bas que les prix du marché, qui sont déjà très bas. Ceci le ferait opérer à perte et irait à l’encontre de la raison d’être énoncée du projet : générer suffisamment de revenus pour rénover les infrastructures existantes, qui ont été négligées pendant des décennies.
L’APQ affirme souvent que, les navires étant toujours plus gros, c’est le Port de Québec qui pourra les accueillir en raison d’une profondeur d’eau suffisante, ce qui fait défaut à Montréal.
Or, d’autres projets similaires, notamment à Sydney en Nouvelle-Écosse, sont plus avancés que celui de Québec et auront des capacités beaucoup plus importantes, notamment pour le transbordement direct des conteneurs de navire à navire. Ils seront les noyaux de la desserte portuaire de l’Ontario et du Québec et c’est de là que s’organiseront les activités de cabotage par des navires plus petits qui pourront se rendre à Montréal et desservir tout le secteur des Grands-Lacs. Que restera-t-il pour Québec, surtout que le débarquement de conteneurs des navires pour les acheminer par trains et camions à partir de Québec est plus coûteux que le transit par voie fluviale?
Malgré le manque de crédibilité qui accable Laurentia tel que présenté, l’APQ a investi énormément d’argent et d’énergie dans ce projet et elle semble tenir mordicus à réaliser cet agrandissement. Laurentia cacherait-t-il une éventuelle réorientation vers un autre type d’activité? Ce n’est pas impossible, surtout que le PDG du port a récemment avoué qu’un des scénarii d’utilisation des nouveaux terrains avait été concocté strictement pour les fins des analyses d’impacts environnementaux, sans jamais avoir été réellement envisagé. C’est comme si l’APQ disait : « Donnez-nous la permission de faire cet agrandissement, on verra ce qu’on y fera après. »
Et si Laurentia n’était qu’un autre paravent ? À quelles activités les nouveaux quais pourraient-ils servir si le scénario des conteneurs ne s’avérait pas suffisamment rentable? Quelle autre activité portuaire offrirait des perspectives de rentabilité plus élevées, tout en nécessitant peu d’espace d’arrière quai? Seul le transit de pétrole semble répondre à ces critères. Il était d’ailleurs à la base de Beauport 2020, ce qui avait soulevé un immense tollé ayant forcé le retrait du volet pétrolier du projet.
Or, Hutchison Ports, l’imposant partenaire chinois de Laurentia, possède 40 % des parts de Husky Energy, une compagnie pétrolière basée en Alberta. Comment alors ne pas craindre qu’on veuille faire de Laurentia un terminal de transit pour le pétrole de l’Alberta?
Bien sur, ceci n’est que spéculations, mais il faut tout de même reconnaître qu’il s’agit d’un scénario plausible. C’est peut-être le plus important élément de ce que le Port de Québec ne dit pas au sujet de Laurentia.